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semble inutile au despote qui l’aurait commandée. Alors son pouvoir était trop bien affermi, la reine trop complètement délaissée, pour que son nom devînt le signal d’une révolte. La paix avec l’Aragon, la retraite du comte de Trastamare, éloignaient toute inquiétude. Les réclamations même du souverain pontife avaient cessé long-temps avant cette époque. Lorsque le monde entier oubliait Blanche, pourquoi trancher violemment une vie obscure qui s’éteignait dans un donjon ?

Une hypothèse se présente, spécieuse au premier abord, qui expliquerait l’intérêt de don Pèdre à faire périr l’innocente victime. Il est certain qu’après la paix avec l’Aragon, il fut question de compléter par un mariage le rapprochement des deux couronnes. Des négociations furent entamées à cet effet, et l’on proposa d’abord l’union du roi de Castille avec une infante d’Aragon, puis celle du fils de don Pèdre et de Marie de Padilla, enfant de dix-huit mois, avec une fille de Pierre IV. La date de ces propositions n’étant pas fixée par l’histoire avec une précision rigoureuse, on est tenté de la placer immédiatement après la mort de Blanche[1]. Dès-lors on supposera que don Pèdre, pour pouvoir épouser la princesse aragonaise, a pu acheter sa liberté par un crime. Cependant tout indique que le projet de mariage mis en avant par le roi d’Aragon fut toujours très froidement accueilli par don Pèdre, qui ne se réconcilia jamais sincèrement avec ce prince. La paix qu’il venait de signer à contre-cœur n’était, à ses yeux, qu’une trêve dont il voulait profiter pour se débarrasser de toute inquiétude du côté de Grenade ; et la suite du récit prouvera qu’il s’était proposé de recommencer la guerre dès qu’il trouverait une occasion favorable. D’ailleurs, pour que le roi recouvrât sa liberté, il lui fallait non-seulement que Blanche mourût, mais avec elle Marie de Padilla, depuis dix ans traitée en reine et considérée par toute la cour comme sa femme légitime. Or, bien que la mort de Marie ait suivi d’assez près celle de Blanche, personne que je sache ne s’est encore avisé de l’imputer à don Pèdre.

En résumé, si la vie de Blanche fut terminée par le poison, ce fut

  1. J’ai trouvé dans les archives d’Aragon deux pièces réunies sous le même titre Super matrimonio, reg. 1394 Pacium et Treugarum, p. 87 et suiv. La première est une procuration passée à Bernal de Cabrera par Pierre IV, pour conclure le mariage de l’infante Jeanne, sa fille, avec le roi de Castille, et régler les intérêts de la jeune princesse. Cette procuration est datée de Barcelone, 17 décembre 1361. La seconde pièce, datée du 19 décembre, est la procuration de l’infante elle-même à Bernal de Cabrera, laquelle, confessant être âgée de plus de quatorze ans et de moins de vingt, renonce, suivant l’usage, au bénéfice d’exciper de sa minorité, et autorise son fondé de pouvoir à stipuler ses conventions matrimoniales. On doit conclure que, pour que le roi d’Aragon et sa fille signassent de pareils actes, la négociation devait être très avancée au milieu de décembre 1361. En effet, le préambule de la procuration du roi porte : Attendentes quod inter nos et illustrera Petrum regem Castelle tractatur de matrimonio contrahendo inter ipsum regem et inclytam infantissam Iohannam filiam nostram carissimam. Cfr. Zurita, t. II, p. 308.