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le territoire d’Orihuela, pour y faire guerre cruelle et couper la tête à tous les Aragonais qui tomberaient entre leurs mains. Gardez mes ordres, ajoutait le roi ; ceux qui se rendraient coupables de désobéissance, la paieraient de leur vie. » Depuis quelque temps, cette formule accompagnait tous les mandemens royaux[1].

Malgré le nombre et l’ardeur des troupes castillannes, la forte ligne militaire de l’Èbre, obstacle presque insurmontable pour une armée de cette époque, arrêtait leurs progrès dans le nord de l’Aragon. Don Pèdre avait résolu de tourner ses armes contre le royaume de Valence. Il espérait y trouver un pays plus riche, une résistance moins opiniâtre de la part des habitans ; enfin il se flattait encore peut-être que l’ancienne rivalité entre les Valenciens et les Aragonais rendrait ses conquêtes plus faciles. Avec le gros de ses forces, il marcha résolûment contre la capitale, pendant que les contingens de Murcie et les Maures de Farax attaquaient le midi de la province. Sur sa route, peu de villes osèrent lui résister : Teruel, Castel-Favib, Segorbe, Murviedro furent successivement occupées par ses troupes ; Daroca seule se défendit avec bonheur. Plus l’armée castillanne s’avançait vers le sud, plus elle s’affaiblissait, obligée de laisser des détachemens dans toutes les places qui tombaient en son pouvoir. Les hommes de guerre contemporains ont blâmé don Pèdre d’avoir ainsi disséminé ses forces au lieu de les tenir réunies pour un coup décisif. Le 21 mai 1363, il arriva en vue de Valence. Il en reconnut l’enceinte et désespéra de pouvoir l’enlever d’un coup de main. Dans sa marche précipitée, il n’avait pu se faire suivre par ses machines ; d’ailleurs, il n’était pas prudent d’entreprendre en ce moment le siège d’une place si bien fortifiée, car on annonçait l’approche du roi d’Aragon avec des forces considérables. Pendant huit jours les Castillans escarmouchèrent aux portes de Valence, et cependant la plaine fertile qui l’entoure, et qu’on nomme avec raison son verger (la Huerta), était livrée à d’affreux ravages. Du couvent de la Zaydia, où don Pèdre avait établi son quartier, il voyait brûler les moissons, arracher les vignes, couper les oliviers, incendier les hameaux et les métairies isolées[2]. C’est ainsi qu’on faisait la guerre au moyen-âge. Don Pèdre avait quelque goût pour les arts, et Séville est encore fière des monumens qu’il a bâtis. Il fit enlever d’un château de plaisance, ancienne demeure des rois d’Aragon, plusieurs colonnes antiques de jaspe, et ordonna qu’elles fussent transportées à Séville pour servir à la décoration de l’Alcazar, où il faisait faire de grandes constructions[3].

Déjà la plaine de Valence, si riche et si fertile, était changée en un

  1. Cascales, Hist. de Murcia, p. 107.
  2. Ayala, p. 369. — Zurita, t. II, p. 319.
  3. Zurita. ibid. — Arch. gen. de Ar., reg. 1293 Secr., p. 127.