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cette dame, mariée d’abord à don Fernand de Castro, l’avait quitté au bout de fort peu de temps pour aller vivre en Aragon auprès de son frère. Son mariage avait été cassé pour cause de parenté, et don Fernand avait voué une haine mortelle à don Henri, l’accusant d’avoir pris ce prétexte pour rompre une union qu’il avait d’abord favorisée. En Aragon, doña Juana distingua Carrillo et parut agréer ses hommages. L’orgueil du bâtard s’indigna qu’un simple chevalier oubliât le respect dû au sang des rois. C’est un proverbe espagnol, « qu’à secrète injure il faut secrète vengeance. » Au milieu d’une partie de chasse, don Henri, ayant attiré Carrillo dans un lieu écarté, le tua d’un coup de javeline. Dans les mœurs du temps, cet assassinat pouvait passer pour un acte honorable. Un frère était le maître de sa sœur et le gardien jaloux de son honneur. Aussi Ayala, soigneux d’ordinaire d’excuser les crimes du prince auquel il dut sa fortune, rapporte-t-il ce meurtre sans commentaire, le tenant, sans doute, pour justifié suivant les lois de la chevalerie[1].


XVIII.

GUERRE DANS LE ROYAUME DE VALENCE. — 1364-1365.


I.

Tandis que le roi d’Aragon et le comte de Trastamare luttaient d’astuce et de perfidie, tandis qu’ils assassinaient leurs plus fidèles serviteurs, don Pèdre ravageait impunément le royaume de Valence et venait mettre le siège devant la capitale. Maître de la plupart des villes aux environs, il établit son quartier au Grao, petit port à une demi-lieue de Valence, afin de couper les communications des assiégés avec la mer et d’assurer les siennes avec sa flotte, attendue de moment en moment. Valence avait une garnison nombreuse, un gouverneur fidèle et courageux ; mais elle était mal approvisionnée, car l’invasion des Castillans avait détruit la récolte l’année précédente et fait refluer dans la ville presque toute la population des campagnes. Après quelques jours de blocus, le pain manqua. Les habitans n’avaient plus que du riz pour se nourrir, et encore en petite quantité. Si les secours demandés au roi d’Aragon avec instance et à plusieurs reprises tardaient quelques semaines, Valence était perdue. Don Pèdre, qui n’ignorait pas la détresse des assiégés, se bornait à fermer le passage à tous les convois, et, renfermé dans son camp, attendait avec patience que la famine combattît pour lui. Ses quartiers étaient fortifiés avec soin ; nul ennemi ne tenait la campagne, et il n’avait à repousser que des sorties qui ne pouvaient

  1. Ayala, p. 301.