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espéré que la duchesse de Lesdiguières[1] s’y trouveroit, et, comme on ne s’y attendoit plus, elle parut, et nous la vîmes poindre avec cet air fin et brillant que vous savez et qui plaît toujours. La duchesse de Montbazon, qui s’avança vers elle, lui parla tout bas et lui fit ensuite des compliments mêlés de louanges, et de la meilleure foi du monde, comme vous pouvez juger. L’autre se couvroit de temps en temps de son manchon, et d’un air modeste, et même timide en apparence, faisoit semblant de n’oser paroître auprès d’une si belle personne ; mais on sentoit bien, à la regarder, que ces façons ne tendoient qu’à vaincre plus sûrement et de meilleure grace. Sitôt que tout le monde fut assis La conversation, dit monsieur le maréchal, a été fort agréable ; mais, à cause de madame, il faut renouveler d’esprit[2] ; elle mérite qu’on n’épargne rien de galant. La belle duchesse ne répondit qu’avec un doux sourire ; mais elle parut si aimable, qu’on s’attacha plus que devant à dire de bons mots et de jolies choses. Ce dessein ne réussit pas toujours, et principalement lorsqu’on témoigne de le souhaiter, si bien que je ne laissai pas de vous trouver fort à dire. Aussi je m’en allois si l’on ne m’eût retenu, et je n’ose vous écrire combien la débauche fut grande ; vous le pouvez conjecturer par l’emportement du sage ***, qui ne se contenta pas de nous parler des secrètes beautés de sa femme, et qui vouloit encore que nous en pussions juger par nous-mêmes. Elle s’en mit fort en colère, et les autres dames, les plus sévères, ne faisoient qu’en rire. Même il y en eut une qui, pour l’apaiser, lui représenta que son mari ne lui vouloit faire autre mal que de nous montrer qu’elle avait la peau belle, qu’on n’en usoit pas autrement parmi les dames de conséquence et d’une excellente beauté, surtout un jour de réjouissance comme celui du carnaval. Ces raisons l’adoucirent bien fort, et je vis l’heure qu’elle étoit persuadée ; mais enfin elle dit que cet homme, qui paraissoit si sage, n’étoit qu’un fou dans la débauche, et qu’elle ne désarmeroit point qu’on ne l’eût mis dehors, car elle avoit pris mon épée et menaçoit d’en tuer le premier qui s’approcheroit d’elle. On fit pourtant le traité à des conditions plus douces, et le tumulte finit agréablement. »

Ainsi voilà, en si beau monde, un sage mari qui, pour être en pointe de vin, se met à jouer un très vilain jeu, et si au vif que la dame alarmée

  1. Cette duchesse de Lesdiguières, qui revient à tout instant sous la plume du chevalier, la Reine des Alpes, comme il l’appelle, la même qui joua un certain rôle sous la Fronde et que Sénac de Meilhan a fort agréablement mise en jeu dans ses prétendus Mémoires de la Palatine, était Anne de la Magdeleine de Ragny, fille unique de Léonor de la Magdeleine, marquis de Ragny, et d’Hippolyte de Gondi. Par sa mère, elle se trouvait cousine germaine du cardinal de Retz, qui fit ce qu’il put pour qu’elle lui fût encore autre chose. Mariée en 1632, elle mourut, je l’ai dit, en 1656, laissant le chevalier de Méré dans tout son brillant d’homme à la mode. Tallemant des Réaux a consacré à la duchesse un petit article gaillard à la suite de M. de Roquelaure. Il ne faut pas confondre cette duchesse de Lesdiguières avec sa belle-fille, qui était une Gondi et nièce du cardinal de Retz.
  2. Renouveler d’esprit : malgré mon respect pour le texte du chevalier et pour ses façons particulières de dire, je crois que c’est ici une faute d’impression, et qu’il faut lire tout simplement redoubler.