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avait appris à connaître les aventuriers, et, tremblant que ses états ne devinssent le théâtre de la guerre, il ne cessait de conjurer Pierre IV de les éloigner de ses frontières[1]. Le traité de Sos n’avait été observé ni d’une part ni de l’autre, et le roi d’Aragon avait trop de prudence pour donner des subsides à un allié d’aussi mauvaise foi que le roi de Navarre. Son trésor, d’ailleurs, était épuisé par les exigences de don Henri et des aventuriers, et il était hors d’état de faire de nouveaux sacrifices. L’année précédente, il avait été réduit à saisir et faire fondre les ornemens d’or et d’argent renfermés dans les églises, jusqu’aux calices et aux encensoirs, pour subvenir à la solde de ses troupes[2]. En attendant, il s’efforçait d’amuser le Navarrais par de nouvelles promesses. Il marchandait avec lui. Une alliance déclarée étant trop chère, on en était venu à débattre les conditions d’une neutralité partiale, que Charles voulait se faire bien payer[3]. D’abord il demandait que le fils aîné du roi d’Aragon épousât l’infante de Navarre sans dot[4], puis que Pierre IV lui garantît ses états contre les attaques de la France[5] ; enfin, et c’était sans doute là le point capital de la négociation, qu’en considération de sa bonne volonté, on lui comptât 40,000 florins d’or, subside dont le motif serait déguisé par la cession faite à l’Aragon de quelques châteaux sans importance[6]. Bientôt le roi de Navarre voyait qu’il était trop exigeant, et se rabattait à 20,000 florins[7]. De son côté, le roi d’Aragon consentait au mariage de son fils[8], déjà engagé avec plusieurs princesses par autant de traités différens, promettait des subsides pour l’avenir, et publiait des ordres pour interdire l’entrée de ses états à la grande compagnie[9]. Je passe sous silence les sermens

  1. Arch. gen, de Ar. Propositions adressées au roi d’Aragon par Mosen Juan de Arellano de la part du roi de Navarre. Art. 4, reg. 1205, p. 61 et suiv.
  2. « Axi com son retaules d’argent, creus, calzers, y lanties, y encensers. » Carbonell, p. 193.
  3. Arch. gen. de Ar. Propositions de Mosen J. de Arellano, reg. 1205, p. 61 et suiv. « Que tenido non seu de fazer guerra de su persona ni de su regno. » Art. 1.
  4. Ibid. « Que non le sia tengut donar ni livrar terres ni argent, e sera li fet e assignat dodari e cambra axi tal como fo à doña Maria de Navarra. » Art. 2.
  5. Ibid., art. 4.
  6. Ibid. « Quel dito rey d’Arago considerando la buena voluntat del dito rey de Navarra e las misiones que ha feyto por causa de les sobre dichos castiellos prometa de dar, al dito rey de Navarra 40,000 florines d’oro. » Art. 6.
  7. Réponses du roi d’Aragon aux propositions précédentes. Art. 6, reg. 1205, p. 63. et suiv.
  8. Ibid. Additions aux propositions. Le roi d’Aragon consent au mariage à condition qu’il enverra des gens de confiance pour voir l’infante à loisir, connaître sa santé, sa personne, et prendre des informations sur son caractère Para veer la infanta a huella (pour huelga) la sanidat e apostamiento de su persona e haver information de su persona. J’ai cru devoir rapporter cette preuve singulière de la prudence de la diplomatie au moyen-âge.
  9. Ibid. Réponse du roi d’Aragon à l’art. 4 des propositions de J. d’Arellano – Lettre du roi d’Aragon à Jordan d’Urries. Huerta de Serra, 2365. Il professe de son intime amitié avec le roi de Navarre, et ordonne, sous peine de son indignation, que les ports des montagnes soient fermés à toute troupe étrangère. Reg. 1205, p. 58. — Autre lettre, dans le même sens et de même date, adressée au conseil de Jaca. Même reg., p. 59.