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À Burgos, le roi trouva des troupes nombreuses, mais peu aguerries, intimidées d’ailleurs par les rumeurs effrayantes sur le nombre, la valeur, la férocité des nouveaux adversaires qu’elles allaient avoir à combattre. Ses meilleurs soldats se trouvaient dans le royaume de Valence, disséminés çà et là, gardant les villes dont il s’était emparé dans ses dernières campagnes[1]. S’il remarquait moins de découragement parmi les riches-hommes et les chevaliers rassemblés autour de sa bannière, ce n’était pas sans une cruelle inquiétude qu’il se rappelait tous les motifs qu’ils avaient de le haïr. N’étaient-ils pas les parens, les amis de tant de seigneurs sacrifiés à ses soupçons, assassinés par ses ordres ou flétris par une sentence de trahison ? Était-ce pour le défendre ou pour le livrer à son ennemi que toute cette noblesse montrait tant d’empressement aujourd’hui ? Chaque jour des bruits alarmans venaient redoubler son anxiété. Naguère la crainte d’une défection l’avait empêché de risquer une bataille décisive, lorsque, à la tête de troupes victorieuses, il s’était avancé jusqu’au cœur de l’Aragon ; combien de nouveaux motifs pour redouter une trahison, maintenant que don Henri, avec les meilleurs soldats de la France et de l’Angleterre, venait en Castille tendre la main aux mécontens ! Dans la situation où se trouvait don Pèdre, tout excitait sa méfiance, jusqu’aux témoignages de fidélité et de dévouement qu’à l’approche du péril lui donnaient ses plus loyaux serviteurs. La prudence aurait dû lui conseiller de dissimuler ses soupçons et ses inquiétudes : il les trahissait par un redoublement de brusquerie et de hauteur. Il accusait au hasard, éclatait sans cesse en plaintes irréfléchies, et semblait provoquer la défection par des menaces déjà devenues impuissantes.

Tandis que, partagé entre cent résolutions contraires, il attendait l’orage, plongé dans un découragement apathique, il vit arriver à Burgos le seigneur d’Albret, vassal du roi d’Angleterre, que sa haine contre les rois de Navarre et d’Aragon rendait un allié naturel de la Castille. Compagnon d’armes ou parent de quelques-uns des chefs de la grande compagnie, le seigneur d’Albret venait offrir à don Pèdre son entremise pour les attirer à son service, ou du moins pour les obliger à quitter celui du comte de Trastamare. Il semblait facile surtout de débaucher les bandes d’Anglais et de Gascons, qui avaient un prétexte spécieux pour abandonner Du Guesclin dans la désapprobation publique que le prince de Galles venait de donner à une expédition dirigée contre un prince ami de l’Angleterre. Il suffisait d’indemniser les capitaines et d’offrir une paie avantageuse aux soldats. Sans argent, nul traité n’était possible avec les chevaliers d’aventure. Don Pèdre, libéral seulement avec ses maîtresses, rejeta les offres du seigneur d’Albret,

  1. Ayala, p. 405.