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douze mille mercenaires qui allaient décider du sort de la Castille et de l’Aragon.

Ils parurent enfin, précédés de quelques journées par leurs chefs, que Pierre IV reçut à Barcelone avec de grands honneurs. Dans un festin qu’il leur donna, Du Guesclin s’assit à la droite du roi, qui avait à sa gauche l’infant Raymond Berenger, son oncle[1]. Mais le Breton n’était pas homme à se contenter de ces faveurs royales ; il venait réclamer les subsides promis à ses troupes et en exiger de nouveaux. Pierre s’était engagé à délivrer aux chefs de la grande compagnie 100,000 florins d’or, à la condition qu’elle traverserait ses états sans y commettre de désordres. Il fallut ajouter à cette somme un supplément de 20,000 florins[2]. Cependant les aventuriers, qui avaient passé les monts dans le courant de janvier, se montrèrent encore plus indisciplinés en Aragon qu’ils ne l’avaient été en France. Se croyant déjà en pays ennemi, ils mettaient tout à feu et à sang sur leur passage. Entrés dans Barbastro, ils pillèrent les maisons, massacrèrent les bourgeois ou les mirent à la torture pour en tirer rançon. Quelques-uns de ces malheureux, réfugiés dans la principale église, essayèrent de s’y défendre ; les aventuriers mirent le feu aux toitures et brûlèrent ainsi plus de deux cents personnes[3].

Tout était permis à ces étrangers, et telle était l’épouvante qu’ils inspiraient, qu’on leur savait gré comme d’un bienfait du mal qu’ils ne faisaient point. Les sujets du roi d’Aragon s’adressaient aux capitaines français et anglais pour obtenir des faveurs de leur maître, et ces recommandations, peut-être intéressées, étaient toujours accueillies avec faveur[4].


IV.

Tandis que cette effroyable avalanche descendait du haut des Pyrénées, don Pèdre s’apprêtait de son mieux à en soutenir le choc. Ordonnant partout des levées, parcourant lui-même son royaume en tout sens pour donner plus d’activité aux préparatifs de guerre, il avait assigné Burgos comme point de réunion aux différens corps de son armée. De sa personne il s’y rendit lui-même au commencement de l’année 1366, lorsque déjà l’ennemi mettait le pied sur le territoire castillan.

  1. Carbonell, p. 196.
  2. Id., ibid.
  3. Zurita, t. II, p. 342.
  4. Arch. gen. de Ar. Privilèges accordés à maître Robert d’Estanten, bourgeois de Saragosse, à la prière de messire Hugh de Calverly. Saragosse, 1er mars 1366. Reg. 1213 Sigilli secreti, p. 24.