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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/355

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Arrivé à Séville, don Pèdre n’y trouva que le découragement et les symptômes de mutinerie qu’il avait observés sur toute sa route. Les Andalous, dont les campagnes avaient été souvent ravagées par les Maures, ne voyaient pas sans une extrême inquiétude les préparatifs du roi de Grenade pour secourir son allié. On avait entendu don Pèdre s’écrier, dans un moment de colère, que, s’il était trahi par ses sujets, il pouvait au moins compter sur la fidélité du roi Mohamed, qui lui devait sa couronne. Ces paroles imprudentes étaient commentées avec malveillance par les prêtres et par les émissaires du prétendant. Ils publiaient que don Pèdre attendait une puissante armée de Grenade, et qu’il allait remettre entre les mains des Maures les principales villes de l’Andalousie. Quelques-uns ajoutaient qu’il avait promis à son allié Mohamed d’abjurer la foi chrétienne, et que, comme le comte Julien, il allait sacrifier à sa vengeance sa religion et sa patrie. La populace accueillit ces rumeurs absurdes qui, chaque jour, devenaient plus menaçantes. Des attroupemens séditieux se formaient dans les rues voisines de l’Alcazar, et y bloquaient en quelque sorte le malheureux roi. Bientôt il en vint à douter qu’il pût s’y maintenir avec le petit nombre de soldats qui lui restaient fidèles. Dans cette extrémité, après avoir pris conseil du maître d’Alcantara, Martin Lopez, de Mateo Fernandez, son chancelier, et de Martin Yanez, son trésorier, il se détermina à quitter Séville pour aller implorer le secours du roi de Portugal, son oncle et son ancien allié.

Avant les derniers revers de don Pèdre, l’union la plus intime régnait entre les deux princes, et ils avaient résolu de la resserrer encore par un mariage entre leurs enfans. Doña Beatriz, fille aînée de Marie de Padilla, héritière présomptive de la couronne de Castille, devait épouser don Fernand, fils aîné du roi de Portugal ; mais l’âge de la princesse n’avait pas permis que le mariage fût encore célébré. Toutefois don Pèdre, confiant dans la parole de son allié, aussitôt après son arrivée à Séville, s’était empressé d’envoyer sa fille en Portugal, avec la dot stipulée au traité d’alliance, et de plus une somme d’argent considérable, ainsi que quantité de pierreries qui avaient appartenu à Marie de Padilla. Peu de jours après, ayant fait venir à Séville tout l’or et l’argent monnayé qu’il gardait dans le château d’Almodovar del Rio, il le fit embarquer sur une galère, et chargea Martin Yanez de se rendre avec ce trésor à Tavira, en Portugal, pour y attendre de nouveaux ordres. Quant à lui, renfermé dans l’Alcazar, et presque assiégé par ses sujets, il suivait avec anxiété les mouvemens de don Henri, hésitant encore à quitter son royaume. La révolte éclatant vint abréger ses incertitudes. La populace ameutée se porta en masse contre l’Alcazar pour lui donner l’assaut ; elle s’était déjà emparée de l’arsenal et des galères. Il n’y avait pas un moment à perdre. Le roi, montant