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Les hommes qui s’étaient toujours montrés les ministres dociles de son despotisme cherchèrent à faire oublier leurs viles complaisances par un empressement encore plus lâche à s’humilier devant le prince qu’ils avaient si long-temps persécuté. Iñigo de Orozco, chargé de défendre Guadalajara, courut en porter les clés à Burgos. Le maître de Calatrava, don Diego de Padilla, le frère de celle que don Pèdre avait déclarée reine, ne fut pas un des derniers à venir baiser la main qui déshéritait d’un trône les filles de sa sœur[1]. Garci Alvarez, un peu moins empressé que les autres, fit mine de vouloir résister dans Tolède, mais seulement le temps nécessaire pour se faire acheter sa défection. Il était maître de Saint-Jacques par la volonté de don Pèdre, depuis la mort de don Fadrique, et Gonzalo Mexia, vieux serviteur de don Henri, émigré depuis les premiers troubles, avait pris le même titre de son côté et avait été reconnu en qualité de Maître par les chevaliers de l’ordre, exilés comme lui. Entre ces deux rivaux à la maîtrise de Saint-Jacques, le choix de don Henri ne pouvait être douteux. Garci Alvarez, voyant l’Alcazar et le pont d’Alcantara au pouvoir des bourgeois insurgés, se trouva heureux d’obtenir, en échange de sa renonciation, deux domaines considérables et une grosse somme d’argent[2]. À ce prix il vendit Tolède, ou plutôt la partie de la ville que ses troupes occupaient encore. Don Henri y fut reçu aux acclamations du peuple excité par le clergé et la noblesse, sur lesquels avait durement pesé le despotisme de don Pèdre. Pendant quinze jours il tint sa cour à Tolède, recevant les hommages et les soumissions des villes qui de toutes parts lui envoyaient leurs députés. Les procurateurs de Cuenca, d’Avila, de Madrid, de Talavera, vinrent prêter le serment de fidélité entre ses mains et reçurent en échange la confirmation de leurs privilèges, peut-être même des franchises nouvelles. Henri n’avait pas oublié la conduite des Juifs de Tolède, qui, quelques années auparavant, avaient puissamment contribué à l’expulser de leurs murs. De même qu’à Burgos, une forte amende punit leur attachement à la cause de don Pèdre. La Juiverie de Tolède fut contrainte de payer la solde des aventuriers, et cette contribution arbitraire fut exigée avec la dernière rigueur[3]. Ces avanies étaient agréables au peuple castillan et surtout au clergé. Les ecclésiastiques, maltraités par don Pèdre, saisissaient avec empressement l’occasion de se venger et animaient le bas peuple à se soulever contre un prince que le ciel abandonnait. D’un côté, le roi légitime fuyant entouré de génétaires musulmans, de l’autre, l’usurpateur rançonnant les Juifs, il n’en fallait pas davantage pour établir dans l’esprit de la populace l’impiété de l’un et la foi fervente de l’autre.

  1. Ayala, p. 410.
  2. Id., p. 411.
  3. Id., p. 412.