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courte, coupée incessamment par de nombreuses cadences, surchargée de petites notes, comprimée dans un tissu d’accords très mordans. Le bouton harmonique n’était pas encore assez mûr, et il ne devait s’épanouir que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est alors, en effet, que, sous l’influence d’un groupe de génies immortels et d’admirables virtuoses, on vit éclater cette mélodie italienne large, flottante, limpide, colorée, fleur d’une incomparable beauté, expression d’un moment unique dans l’histoire, où la maturité de l’art s’alliait à la jeunesse du sentiment.

C’est pendant cette période fortunée qu’on a entendu les virtuoses les plus étonnans et que l’art de chanter s’est élevé, pour ainsi dire, à son idéal. Un opéra alors ne renfermait que deux ou trois situations fort simples, dont le sujet était toujours la peinture des tourmens ou de l’ivresse de l’amour. L’amour est la seule passion dramatique qui ait inspiré les compositeurs italiens du XVIIIe siècle, c’est lui qui règne presque exclusivement dans le théâtre de Métastase. Il y a dans l’histoire de l’art, comme dans la vie des individus, des momens où la domination impérieuse d’un sentiment comprime tous les autres et absorbe toutes les forces de la vie. Tel a été le rôle de l’amour dans les opéras sérieux italiens de la seconde moitié du dernier siècle. Ce n’est qu’après l’avènement de Gluck et celui de Mozart, que la musique dramatique s’essaya à peindre des caractères plus mâles, des passions plus compliquées et plus austères ; jusqu’alors elle avait flotté à la surface de l’ame, elle préludait à ses glorieuses destinées par des caprices adorables, et quelques années d’épreuve lui étaient encore nécessaires avant qu’elle pût pénétrer nella citta dolente, nell’ éterno dolore. Un beau cantabile, précédé d’un récitatif qui en préparait l’épanouissement ; un duo composé d’un adagio que les deux personnages disaient l’un après l’autre, et qui se terminait par un allegro brillant et passionné ; quelquefois un trio et plus rarement un quatuor, le tout accompagné très simplement et de manière à mettre en relief la mélodie vocale qui se développait ainsi dans toute sa plénitude, voilà quels étaient les élémens d’un opéra seria, qui suffisaient pour charmer le public pendant toute une soirée et toute une saison. Un air comme Per questo dolce amplesso, de Hasse, que Farinelli chanta tous les jours, pendant vingt-cinq ans, au roi d’Espagne Ferdinand VI, un duo comme celui de l’Olympiade, de Paisiello : Nè giorni tuoi felici, c’était tout un drame émouvant, où le cri de la passion s’exhalait à travers les prestiges de la fantaisie. Ces notes, parfumées de volupté et toutes frémissantes d’amour, allaient remuer les cordes les plus secrètes du cœur. L’assemblée tout entière était suspendue au bout d’un point d’orgue, comme l’Olympe à la chaîne d’or de Jupiter. Ce fut un beau temps que celui où l’on put entendre chanter ensemble sur le même théâtre Cafarelli et Gizzielo, Farinelli et Bernachi, la Mingotti et la Faustina, Pachiarotti et la Gabrielli, Marchesi et la Grassini. Ces virtuoses admirables étaient presque tous d’ingénieux et d’excellens musiciens, qui donnaient aux idées qu’ils interprétaient une valeur bien au-dessus de ce qu’avait cru y mettre le compositeur. Les morceaux qu’on écrivait pour eux n’étaient le plus souvent que de simples canevas mélodiques, qu’ils brodaient de leurs inspirations. C’étaient des poètes qui improvisaient sur un thème donné des chefs-d’œuvre de grace et de passion.

Malheureusement un tel triomphe, en exaltant outre mesure l’amour-propre