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Il haussa les épaules, et, ramenant la missive sur le pupitre, il reprit : « La Roche-Farnoux est certainement l’endroit le plus triste de la terre ; pourtant M. le marquis de Fameux, mon grand-oncle le préfère à tous les beaux domaines qu’il possède en d’autres pays. C’est ici qu’il s’est retiré en quittant la cour et depuis nombre d’années il n’a bougé de cette solitude. Comme il est veuf et n’a point d’enfans tout ce qui reste de notre famille s’est réuni autour de lui. Hélas ! la mort a frappé souvent sur notre maison, et nous ne sommes pas nombreux ici. Maintenant il n’y a plus auprès de mon grand-oncle que mes deux tantes, mon jeune cousin et moi, la dernière venue à la Roche-Farnoux. Je confesse, ma chère Cécile, que j’y serais morte d’ennui et de tristesse, si je n’y eusse retrouvé Antonin. »   — C’est bien aimable de ta part, de parier de moi en ces termes à tes amies, dit le petit baron en se rengorgeant.

— Lis, lis toujours, murmura Clémentine avec un léger sourire. Il continua « Antonin et moi avons été élevés ensemble jusqu’à la mort de ma pauvre mère. Je l’aime beaucoup, malgré ses défauts. Je puis l’avouer entre nous : d’abord, il est paresseux, si paresseux, que M. l’abbé Gilette, son précepteur, un savant homme s’il en fut, dit qu’il y a presque perdu son latin. Moi, je l’accuse, en particulier, d’être parfois un peu taquin, extrêmement étourdi, et, comme je t’en ai donné la preuve, passablement curieux. »

— Est-ce tout ? fit Antonin en repoussant la lettre d’un air d’indignation comique et en jetant un regard courroucé sur sa cousine, laquelle ne répondit que par un mouvement de tête et lut tout haut à son tour :

« Toutefois je l’aime tendrement, mon jeune cousin, et, s’il fallait nous quitter encore, j’en serais sensiblement affligée. Ses légers défauts sont rachetés par mille belle qualités. Il a beaucoup d’esprit, l’humeur fort douce et le cœur d’un vrai gentilhomme ; mais, fût-il moins aimable, je lui serais tout de même affectionnée par reconnaissance : c’est la seule personne qui m’aime ici !… »

— Ne crois pas cela, Clémentine, interrompit-il d’un air de faible conviction.

Elle sourit avec amertume et répéta : « Lui seul m’aime ici, je le sais bien. Je suis orpheline : ni mon grand-oncle ; ni mes tantes ne remplacent les parens que j’ai perdus ; mais Antonin est véritablement mon frère, et, quand il sera un homme, je pourrai compter sur lui. »

— C’est vrai, dit-il attendri ; c’est vrai, ma bonne Clémentine.

Ils s’embrassèrent avec effusion et après un moment de silence, la jeune fille dit d’un ton pénétré : — Va, ton amitié seule m’aide à supporter les peines que j’éprouve. Je n’ai pas exprimé la moitié de ce que je sens dans cette lettre. Ah ! mon cher Antonin, sans toi je serais morte certainement, je serais morte de chagrin. Je suis comme une