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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/405

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étrangère ici, et je le vois chaque jour plus clairement, ma tante Joséphine ne m’aime guère, et ma tante de Barjavel ne m’aime pas du tout.

— Ma Mère s’occupe de toi cependant, observa Antonin. Souvent elle te fait venir dans sa chambre tandis que ma tante Joséphine n’aime pas à te voir auprès d’elle : ne l’as-tu pas remarqué?

— Oui, mais elle me donne parfois de petits noms d’amitié, et elle prend garde à ce qui me fait plaisir ou peine. Ce matin même je m’en suis aperçue. Il est venu des marchands colporteurs, et on les a fait monter dans la salle verte. J’y étais par hasard, et j’allais me retirer bien vite, car, vois-tu, je ne me soucie guère de ces beaux ajustemens dont on m’oblige à me parer ; mais ma tante Joséphine, qui entrait en ce moment, m’a retenue pour me faire choisir une robe et . comme elle s’est aperçue que je, regardais à peine ces étoffes qu’on déployait devant nous, elle a murmuré avec un soupir –Vous n’avez goût à rien, ma pauvre enfant ; il faut pourtant vous parer et tâcher d’être gaie, sinon mon oncle sera mécontent… M. le marquis entrait justement dans la salle, personne ne s’y attendait, car midi n’avait pas sonné, il s’en fallait d’un grand quart d’heure. Mon oncle s’est avancé en toussant, et en chevrotant, et en regardant de tous côtés comme d’habitude. Tu sais combien il est sévère sur la tenue et l’étiquette. Il s’est aperçu sur-le-champ que j’étais en robe courte, et, venant droit à moi, il s’est écrié : — Dieu me pardonne, mademoiselle je crois que vous êtes en cornette et en déshabillé. Ce négligé messied à une fille de votre condition, et vous ne devez pas paraître ainsi devant moi.

J’ai voulu m’excuser, mais la voix m’a manqué. J’étais si tremblante, que mes genoux ployaient et que ma tante Joséphine a avancé la main pour me soutenir. — C’est moi, mon oncle, qui suis en faute, a-t-elle dit. J’ai retenu Clémentine au moment où elle allait s’habiller. Je vous supplie de recevoir mes excuses. — Puis, me serrant la main, elle a ajouté tout bas : Mon cœur, choisissez le taffetas rose-vif, faites la révérence, et montez vite à votre chambre ; car vous étouffez, vous allez pleurer. Ma belle tante ne me dit jamais de ces mots-là, Antonin.

— C’est qu’elle est d’un caractère très réservé, répondit-il. Jamais elle ne parle familièrement à personne, pas même à moi, son fils unique ; Pourtant elle m’aime, je n’en puis douter.

— Tu la crains cependant.

— C’est vrai, cousine ; aussi je ne lui ai jamais désobéi.

— Pas même quand elle t’a défendu de me tutoyer, dit Clémentine en souriant ; pas même quand elle t’a signifié qu’il fallait jeter par les fenêtres toutes tes collections de chenilles?

— Oh ! c’est différent, ceci, s’écria Antonin avec feu ; je serais capable de braver les ordres de ma mère et même la colère de mon oncle quand il s’agit de toi de mes insectes.