Les deux dames balbutièrent quelques paroles de dévouement et de respect ; mais Mme de Saint-Elphège n’osa articuler ni un consentement ni un refus. En rentrant, elle dit à sa sœur : — Je suis atterrée. Si je le laisse partir seul, nous sommes déshéritées, c’est certain… Voilà nos filles qui reviennent ; ne leur parlons de rien encore, mais je crois que j’irai à la Roche-Farnoux.
— Quoi ! ma sœur, vous êtes décidée déjà ! s’écria Mme de Sénanges les larmes aux yeux. Quel sacrifice !
— Il est inévitable, répondit M de Saint-Elphège avec fermeté. Considérez notre situation, la médiocrité de notre fortune et le danger où nous sommes de perdre ce grand héritage. Le marquis nous a indirectement menacées de se remarier. Il n’y a pas à balancer, ma sœur ; je dois le suivre et ne le plus quitter jusqu’au jour où je lui aurai fermé les yeux.
— Me préserve le ciel de souhaiter sa fin ! dit en soupirant Mme de Sénanges ; mais c’est une consolation pour moi penser. qu’il est bien vieux.
— En effet, cet exil ne peut durer long-temps, murmura de Saint-Elphège. Joséphine est presque une enfant ; elle sera bien jeune encore quand je la ramènerai.
Les trois Grâces entrèrent en ce moment ; il vint beaucoup de monde et l’on se divertit comme de coutume à d’agréables passe-temps. La musique, la conversation et la bassette occupèrent la compagnie, qui se retira fort tard, environ sur les dix heures. Mme de Saint-Elphège passa aussitôt dans sa chambre en emmenant sa fille cadette. Celle-ci comprit à l’instant qu’il s’agissait de quelque communication importante, et se prit à sourire lorsque sa mère lui dit : — Renvoyez Finette et fermez la porte, ma chère enfant ; j’ai à vous parler.
Mme de Saint-Elphège était ce soir-là d’une beauté surprenante ; on l’avait fort admirée, et plus d’un charmant cavalier lai avait prodigué ses galans respects. Elle jouissait encore secrètement de son triomphe et se répétait à elle-même les doux propos, les discrètes flatteries dont l’agréable bruit l’avait poursuivie toute la soirée. Avant de se rapprocher de Mme de Saint-Elphège, qui s’était assise et défaisait lentement ses manchettes gauffrées, elle alla vers la table de toilette, se pencha de devant la glace avec un geste charmant de satisfaction, de naïf orgueil, et dit avec un léger sourire : — Eh bien ! ma mère, vous allez me parler encore de quelque proposition de mariage que vous êtes en train refuser ?
— Non, ma fille, répondit de Saint Elphège ; non, ce n’est pas de mariage qu’il s’agit. — Et, après un moment de silence, elle ajouta d’un air d’enjouement forcé et en tâchant de sourire : — À moins