Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’écria Mlle de Saint-Elphège ; c’est sans doute parce qu’il ne s’est trouvé personne ici pour le recevoir.

— Pardonnez-moi, ma cousine répondit la baronne, j’y était, et sa révérence s’est reposée un moment.

La tante Joséphine pinça les lèvres d’un air contrarié. Mme de Barjavel s’était levée pour aller regarder si la grande horloge du château marquait la même heure que le cadran de la salle verte. Après un instant de silence et d’hésitation, Mlle de Saint-Elphège reprit : — Savez-vous, ma cousine, si le père Cyprien a passé, en venant, par Champguérin ?

— Oui, sans doute, répondit la baronne sans tourner la tête il m’a même annoncé l’arrivée de M. de Champguérin et sa prochaine visite À cette nouvelle, le cœur de la vieille fille tressaillit ; une faible rougeur se répandit sur ses traits et leur rendit une fraîcheur passagère ;: mais cet éclat s’évanouit comme une lueur, et Mme de Barjaveln en quittant la croisée, se retrouva encore en face de la même figure soucieuse et blême. L’humeur mélancolique de Mlle de Saint-Elphège ne se manifestait que par des signes involontaires, et jamais il ne lui était échappé une parole qui pût faire supposer qu’elle n’était point satisfaite de son sort. Personne n’avait reçu la confidence de ses regrets, de ses espérances déçues, de l’ennui qui la consumait si long-temps et que trahissait sa physionomie éteinte. Aussi Mme de Barjavet fut-elle singulièrement étonnée lorsqu’elle l’entendit s’écrier en se levant brusquement : — Jésus-Dieu! toutes les journées qu’on passe ici sont mortellement longues ; mais celle-ci va me sembler éternelle ! l’heure s’est arrêtée, je crois, entre les aiguilles immobiles de cette horloge ! ’Le commun des hommes s’afflige de la marche rapide du temps : qu’on amène à la Roche-Farnoux ceux qui trouvent la vie trop courte !

Mme de Barjavel regarda du côté de la porte comme pour s’assurer que personne n’avait entendu ce discours ; puis elle dit tranquillement: — Vous ne vous êtes donc pas encore habituée ici, ma cousine?

— Non, pas tout-à-fait ; vous le voyez, répondit-elle avec amertume ; et vous?

— Moi? je ne pense pas comme vous, dit la baronne avec un sourire sérieux ; quoi qu’il puisse advenir, la Roche-Farnoux sera pour moi un séjour de prédilection…

— Apparemment vous y avez trouvé le bonheur? interrompit Mlle de Saint-Elphège d’un ton presque ironique.

— Oui, ma cousine, répondit Mme de Barjavel toujours avec la même physionomie grave et sérieuse.

La vieille fille hocha la tête d’un air peu convaincu ; dans ce mouvement, ses yeux rencontrèrent le miroir en face duquel elle était assise près de sa cousine, et qui reflétait leur image comme deux portraits