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— Je n’en disconviens. pas, répliqua vivement le marquis : ils datent d’un siècle après nous ; mais voilà long-temps qu’ils sont en décadence. Le père de celui-ci n’était pas un grand personnage, bien qu’il eût une charge qui lui donnait bouche à cour. Il mangeait au serdeau avec !es garçons de la chambre, et n’avait jamais l’honneur de faire aucun service autour de la personne du roi. Son fils n’a pas avancé sa fortune non plus, quoiqu’il soit tout pétri d’ambition et qu’il ait toujours tourné ses visées vers un riche établissement ; mais on ne trouve pas facilement des héritières empressées de se marier avec un gentilhomme ruiné.

Il y avait dans ces dernières paroles une allusion que Mlle de Saint-Elphège comprit seule et qui amena sur ses lèvres un sourire amer. Clémentine garda le silence, et ce fut Mme de Barjavel qui releva pour seconde fois cette espèce d’attaque.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit-elle toujours avec le même sang-froid ; mais il me semble précisément que M. de Champguérin avait fait un grand mariage, qu’il avait épousé une héritière.

— Laquelle est morte sans avoir hérité, répliqua le marquis en ricanant, de manière que Champguérin est resté un mince seigneur comme ci-devant, et qu’il se trouve de plus chargé d’un enfant, d’une fille inhabile à succéder aux droits de sa mère. Voilà en effet un bel établissement et le moyen de relever une maison! Demandez à ma nièce de Saint-Elphège ce qu’elle en pense.

— Je pense que M de Champguérin tentera de rétablir sa fortune par un nouveau mariage, répondit la vieille fille en tournant les yeux vers Clémentine ; mais personne ne comprit l’expression de ce regard et la secrète intention de ces paroles.

Le marquis remit sa main-sur le bras de La Graponnière, frappa un coup de sa longue canne sur les dalles, et commença son second tour de promenade. Quand il fut de retour devant le parapet, il s’arrêta encore et reprit du ton de dignité cérémonieuse dont il ne se départait que par momens : — Malgré ce que j’en ai dit, je tiens M. de Champguérin un parfait gentilhomme ; je déclare que je suis fort son serviteur, et que je me trouve fort honoré de ses visites.

— C’est un seigneur tout-à-fait poli et de très bonne conversation, se hasarda à dire La Graponnière ; par malheur, il ne joue pas l’hombre.

— Eh ! eh ! nous pourrions essayer, répondit le marquis ; il serait toujours de ta force, mon vieux sentencieusement : — Ma nièce de l’Hubac est a seule personne ici qui ait les dispositions véritables pour ce jeu savant, difficile et profond. Il faudra pourtant user encore bien des jeux de cartes avant qu’elle le sache ; mais je le lui prédis dès aujourd’hui, dans dix ans elle le jouera comme moi : c’est alors que je ferai volontiers ma partie d’hombre !