Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espérer de les atteindre. Force lui fut donc de revenir à Séville sans avoir tiré vengeance de l’insulte faite à son pavillon. Encore plus irrité par le mauvais succès de sa croisière, il envoya des ambassadeurs à Barcelone pour porter ses plaintes, et en même temps il fit partir quelques vaisseaux avec ordre de cingler, vers les Baléares et de capturer les navires catalans qu’ils rencontreraient dans ces parages[1] ; en sorte que le roi d’Aragon devait apprendre le commencement des hostilités avant l’attentat qui leur servait de prétexte. Ayala suppose que le roi fut excité à ces violences par les parens de Marie de Padilla, qui, sentant diminuer leur crédit, voulurent, dit-il, se rendre nécessaires en poussant leur maître à une guerre dangereuse ; mais le caractère altier de don Pèdre, ses anciens griefs et l’insulte personnelle qu’il venait de recevoir suffisent, ce me semble, pour expliquer sa conduite[2].

Pendant que les galères castillannes insultaient les côtes des Baléares, les ambassadeurs de don Pèdre arrivaient à Barcelone avec les instructions suivantes : ils devaient demander la déposition des commandeurs d’Alcañiz et de Montalvan ; le châtiment des corsaires qui avaient troublé le commerce des villes d’Andalousie ; l’extradition des Castillans réfugiés en Aragon, et nommément celle de l’évêque de Sigüenza et de Peralonso Aljofrin, qui, lors de l’entrée de don Fadrique à Tolède, s’était emparé des caisses royales ; enfin, ils devaient exiger que Francès Perellòs fût livré au roi de Castille pour recevoir tel châtiment qu’il lui plairait d’infliger. Que si l’Aragonis refusait de faire droit à ces demandes, les ambassadeurs avaient ordre de lui déclarer la guerre, de le défier, selon le formulaire diplomatique du moyen-âge.

Pierre IV, qui voulait gagner du temps, répondit avec modération. Il offrit de remettre la commanderie d’Alcañiz à la disposition du maître de Calatrava dès qu’il serait en mesure de dédommager le titulaire actuel par une indemnité suffisante. Quant à la commanderie de Montalvan, c’était, disait-il, une affaire pendante devant la cour d’Avignon, et au saint-père appartenait de prononcer entre le maître et les chevaliers ; ces derniers alléguant d’ailleurs avec quelque apparence de raison que leur élection était régulière et conforme aux statuts de Saint-Jacques, car elle avait eu lieu pendant l’interdit du royaume de Castille qui suspendait l’autorité des maîtres. Le roi d’Aragon se montrait disposé à expulser de ses états les réfugiés castillans, et même à livrer Peralonso Aljofrin aux termes de la convention d’Atienza, ce dernier ayant encouru sentence de trahison pour avoir dérobé le trésor de son seigneur ; mais il se refusait à faire arrêter l’évêque de Sigüenza, par des scrupules

  1. Cfr. Ayala, p. 220. — Zurita, t. II, p. 271, verso.
  2. Ayala, p. 217.