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religieux réels ou feints qui contrastaient fort avec l’impiété notoire de don Pèdre. Enfin, tout en exprimant un vif déplaisir de l’outrage commis par Perellòs, il déclarait qu’en sa qualité de roi et de seigneur, il était seul juge de son vassal ; qu’il examinerait l’affaire, et que, s’il le trouvait coupable, il en ferait si bonne justice que le roi de Castille s’en tînt pour satisfait[1].

Sur cette réponse, les envoyés de Castille se retirèrent, non sans laisser voir que leur maître ne s’en contenterait pas. Cependant Pierre IV, comme pour témoigner de son amour pour la paix, fit publiquement commander à Gonzalo Mexia et à Gomez Carrillo, amis connus du comte de Trastamare et les plus illustres des réfugiés castillans, qu’ils eussent à quitter immédiatement le royaume d’Aragon. En effet, il les fit aussitôt partir pour la France ; mais, tout en affectant de les traiter avec rigueur, il les chargeait de négocier avec don Henri et de lui offrir du service dans ses états[2]. Don Pèdre n’était point homme à se payer d’une si mince satisfaction. Il répliqua par un message plus impérieux que le premier. Après avoir renouvelé ses plaintes avec plus de hauteur que jamais, il écrivit au roi d’Aragon : « Cherchez maintenant un autre ami ; j’ai cessé d’être le vôtre, et par mes mains j’amenderai le tort qu’avez fait à mon honneur[3]. » Avant même que cette lettre eût été rendue, les hostilités commençaient sur plusieurs points à la fois.

Les possessions des rois d’Aragon en Espagne se composaient de l’Aragon proprement dit, de la Catalogne et du royaume de Valence, trois provinces distinctes par leur administration, par les mœurs et même par la langue de leurs habitans, mais réunies sous le même sceptre depuis assez long-temps pour constituer un état politiquement homogène. Limitrophe de la Navarre, des deux Castilles et du royaume de Murcie, le territoire aragonais n’a pas de frontières nettement tracées par la nature. Sa plus grande étendue est du nord au sud, et l’on sait que les hautes chaînes de montagnes dans la Péninsule s’élèvent de l’ouest à l’est ; telle est encore la direction des principales rivières qui se jettent dans la Méditerranée. Trois grandes chaînes sensiblement parallèles entre elles s’avancent de la Castille en Aragon. Ce sont, en commençant par le nord, la sierra de Moncayo, celle de Molina ou de l’Albarracin, enfin la sierra d’Albacete. On peut les comparer à autant de barrières perpendiculaires aux limites de l’Aragon et

  1. Ayala, p. 219. — Zurita, t. II, p. 270 et suiv.
  2. Arch. gen. de Aragon. Instructions à Mosen Francesch de Perellòs (probablement le même que l’amiral de ce nom), envoyé du roi d’Aragon en France. Sans date, mais vraisemblablement de la fin d’août 1356. Registre 1293 Secretorum, p. 38.
  3. Zurita, t. II, p. 271. — Mémoires de Pierre IV, dans Carbonell, Chronica d’Espanya, p. 183, verso.