Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/468

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le prince de Galles n’aurait eu à regretter que quatre de ses chevaliers, deux Gascons, un Anglais et un Allemand, en outre vingt archers et quarante fantassins[1]. Je lui laisse la responsabilité de ce calcul, qui peut surprendre, même quand on se rappelle combien, dans les combats du moyen-âge, la perte des vaincus était toujours hors de proportion avec celle des vainqueurs. Le nombre des prisonniers fut considérable. Bertrand Du Guesclin, le maréchal d’Audeneham, les capitaines français, don Sanche, frère de don Henri, Philippe de Castro, son beau-frère, le marquis de Villena, tous les chevaliers de l’Écharpe, enfin tout ce qui restait vivant de l’avant-garde castillane, étaient aux mains des Anglais. C’étaient les meilleurs soldats et les plus dévoués qu’eût le prétendant.

Don Pèdre, qui, pendant le combat, s’était jeté au plus fort de la mêlée, s’acharna long-temps à la poursuite des fuyards. On le voyait galoper dans la plaine, monté sur un cheval noir, sa bannière armoriée de Castille devant lui, cherchant son frère partout où l’on combattait encore, et criant, échauffé par le carnage : « Où est ce bâtard, qui se dit le roi de Castille[2] ? » Depuis Iong-temps les trompettes anglaises avaient sonné la retraite, lorsque, épuisé de fatigue, il consentit enfin à tourner bride. Il se dirigeait vers l’étendard du prince de Galles, qu’il apercevait flottant sur un tertre éloigné, lorsqu’il rencontra un chevalier gascon ramenant prisonnier Iñigo Lopez Orozco, jadis un de ses familiers, qui l’avait abandonné peu après sa fuite de Burgos. A la vue d’un homme qu’il avait comblé d’honneur, et qu’il retrouvait au milieu de ses ennemis, le roi, transporté de fureur, le tua de sa main, malgré les efforts du chevalier gascon pour le protéger. Ce fut sa première infraction aux promesses faites au prince de Galles. Les Anglais se montrèrent indignés de cette vengeance barbare. D’ailleurs, tuer leurs prisonniers, c’était leur voler des rançons. Édouard en témoigna le plus vif mécontentement, et, sur le champ de bataille même où ils venaient de triompher, don Pèdre et son allié échangèrent d’aigres paroles, symptômes d’une aversion mutuelle qui allait bientôt éclater plus hautement[3].

La couronne de Castille semblait à jamais assurée à don Pèdre par la bataille de Najera. Un seul homme en jugeait plus sainement, c’était le prince de Galles. Lorsque, le lendemain de la bataille, les chevaliers chargés par lui de reconnaître les morts et les prisonniers vinrent lui faire leur rapport, il leur demanda, dans le dialecte gascon qu’il parlait habituellement : « E lo bort, es mort o pres ? Et le bâtard, est-il tué ou pris ? » On répondit qu’il avait disparu du champ de bataille

  1. Froissart, l. I, chap. 241.
  2. Idem, chap. 238.
  3. Ayala, p. 471. — Pellicer justifcacion de la Grandeza de Fernando de Zuñiga, etc., p. 21.