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et qu’on avait perdu ses traces : « Non ay res faït, s’écria le prince ; il n’y a rien de fait[1]. » Ces paroles étaient prophétiques.


V.

Malgré l’indignation d’Édouard en apprenant le meurtre de Lopez Orozco, don Pèdre laissait voir que sa soif de vengeance n’était pas apaisée. Le lendemain de la bataille, les prisonniers furent passés en revue. Presque tous, s’étant rendus à des gentilshommes anglais ou gascons, se trouvaient sous la sauvegarde de la loyauté chevaleresque. Cependant don Pèdre demanda que les Castillans lui fussent remis, offrant de payer leurs rançons au prix qui serait fixé, et il pria le prince de le cautionner auprès des chevaliers à qui ces prisonniers appartenaient. « Je leur parlerai, disait-il avec un sourire terrible, et je ferai tant qu’ils demeureront à mon service. Autrement, s’ils s’échappent ou s’ils paient leur rançon, ce sont des ennemis que je retrouverai toujours plus acharnés contre moi. — N’en déplaise à votre majesté royale, répondit le prince d’un ton sévère, ce n’est pas à bon droit que vous faites cette demande. Ces seigneurs, chevaliers ou hommes d’armes à mon service ont combattu pour l’honneur, et leurs prisonniers sont bien à eux. Pour tout l’or du monde, mes chevaliers ne vous les livreraient pas, sachant bien que vous ne les demandez que pour les faire mourir. Quant aux cavaliers vos vassaux contre lesquels sentence de félonie a été rendue avant cette bataille, je consens qu’ils vous soient remis. — Puisque vous le voulez ainsi, s’écria don Pèdre, je tiens mon royaume perdu pour moi, plus qu’il n’était hier. Si vous laissez vivre ces hommes, vous n’avez rien fait pour moi. Votre alliance m’a été inutile, et c’est en vain que j’ai dépensé mes trésors à payer vos gendarmes ! — Sire cousin, reprit Édouard, pour recouvrer votre royaume, vous avez de plus sûrs moyens que ceux par lesquels vous avez cru le conserver, et qui, de fait, vous l’ont fait perdre. Croyez-moi, renoncez à vos rigueurs d’autrefois, et songez à vous faire aimer de vos gentilshommes et des communes de votre royaume. Si vous reprenez vos anciens erremens, vous vous perdrez et vous mettrez en tel état, que ni monseigneur le roi d’Angleterre, ni moi, ne pourrions vous venir en aide, quand même nous en aurions la volonté ![2].

Pendant ce débat, la plupart des prisonniers castillans exprimaient leur repentir et faisaient supplier don Pèdre de leur accorder leur pardon. Le roi, annonçant qu’il leur faisait grace par considération pour le prince de Galles, consentit à recevoir leurs sermens. Il embrassa même son frère don Sanche, et lui promit d’oublier sa conduite passée. Gomez Carrillo et Sancho-Sanchez Moscoso, grand commandeur de

  1. Sumario de los reyes de España, p. 70.
  2. Ayala, p. 473.