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à Najera avait fait planer de graves soupçons, parut les démentir par son empressement à se soustraire à la vengeance de don Pèdre. De même que son frère, il chercha d’abord un asile en Aragon. C’était de ce côté que se dirigeaient tous les chefs du parti vaincu. Sur la nouvelle de la défaite de don Henri, sa femme, doña Juana, prit à la hâte la même route avec l’infante Léonor d’Aragon, fiancée à son fils. Quelques jours après, elle entrait à Sarragosse avec une suite éplorée de dames et de damoiselles, exténuée de fatigue et mourant d’effroi. Doña Juana était conduite par l’archevêque de Sarragosse, chargé par Pierre IV de résider auprès d’elle, et c’est à la présence d’esprit et au dévouement de ce prélat qu’elle dut d’échapper à tous les dangers qui l’attendaient dans sa fuite. Personne n’avait encore de nouvelles de don Henri, et don Pèdre, dans les lettres qu’il adressait à toutes les villes de la Castille, publiait que son ennemi était mort à Najera[1]. Les fugitifs furent mal accueillis à la cour d’Aragon. Pierre IV, déjà indisposé contre don Henri pour sa lenteur ou sa mauvaise foi dans l’exécution de leurs traités, l’abandonnait ouvertement depuis sa défaite, craignant d’ailleurs de se brouiller avec le prince de Galles. Il se hâta de retirer sa fille Léonor à la princesse que, peu de jours auparavant, il nommait la reine de Castille. Maintenant il rejetait bien loin l’idée d’une alliance avec une maison à jamais déchue. Bientôt sir Hugh de Calverly, au nom du roi d’Angleterre, et un seigneur castillan, envoyé de don Pèdre, vinrent demander avec hauteur l’extradition ou l’éloignement de tous les membres de la famille proscrite, offrant en retour l’amitié et l’alliance des vainqueurs. Grace à l’énergique intervention d’une partie de la noblesse aragonaise, doña Juana et les bannis castillans qui l’avaient suivie obtinrent quelque temps une hospitalité précaire. La puissante famille des Luna, à laquelle appartenait l’archevêque de Sarragosse, reprochait hautement au roi d’Aragon de sacrifier un allié, qui lui avait rendu de signalés services, à un implacable ennemi, qui, pendant dix ans, avait porté le fer et le feu dans son royaume ; mais Pierre IV ne se piquait pas plus de générosité que de bonne foi. La bataille de Najera était à ses yeux l’irrévocable condamnation de don Henri. Il ne fit aucune difficulté pour entrer en négociations avec don Pèdre et le prince de Galles. Au reste, les Castillans eux-mêmes lui donnaient l’exemple de l’oubli des sermens. Burgos ouvrit ses portes avant d’être sommée, et la soumission de tout le royaume fut encore plus rapide que n’avait été son insurrection quelques mois auparavant. C’était à qui s’efforcerait de désarmer le vainqueur par son empressement et sa bonne grace à reprendre le joug. Un petit nombre de riches-hommes, pleins de défiance, se cachaient dans leurs châteaux,

  1. Cascales, Hist. de Murcia, p. 148. Lettre de don Pèdre au conseil de Murcie.