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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/514

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qui se poursuivait depuis plusieurs années, non une concession récemment extorquée par l’Angleterre. Le public, quelque prévenu qu’il soit d’abord, se rend à de bonnes raisons, lorsqu’elles sont présentées avec fermeté par des hommes investis d’une grande autorité et soutenues par l’unanimité d’un parti puissant. À ce moment, une démonstration énergique du parti ministériel en masse aurait probablement ramené un très grand nombre de personnes vers le point où l’on était quand la signature du traité du 15 juillet retentit dans Paris. On aurait ainsi d’avance conjuré plus d’un orage ; mais les conservateurs scissionnaires jugèrent tout patriotiquement, cela va sans dire, qu’il était mauvais que la popularité fût toute pour l’opposition. Ils estimèrent qu’il serait de bonne politique de partager avec leurs adversaires cette auréole, afin d’en exploiter le prestige plus tard dans l’intérêt public. Faux calcul, toujours déçu et pourtant renouvelé toujours ! La popularité dans les débats publics a toujours été et sera toujours le lot de celui qui exagère le sentiment dont la multitude est saisie. Celui qui, tout en adoptant la passion publique, cherche à l’amoindrir afin de la faire cadrer avec la raison, s’il est possible, est traité comme un esclave indocile. Il s’inclinait de mauvaise grace devant l’idole : on le flagelle pour qu’il se prosterne.

Il se peut qu’en 1842, cette tactique d’une fraction des conservateurs ait réussi à faire réélire tel ou tel d’entre eux : il y en a tel exemple que tout le monde connaît ; mais elle fut très préjudiciable au parti et donna une grande force à l’opposition, car, du moment que l’hostilité contre l’Angleterre devait être la pensée dominante de notre politique extérieure, qui est-ce, du ministère ou de l’opposition, qui répondait mieux à cette pensée ? Qui la représentait le plus franchement, le plus fidèlement ?

Quant au ministère, il se soumit dans l’affaire du droit de visite. Il fit plus, il adopta sans contestation le système des grands armemens ; il en prit l’initiative dans les lois de finances. Il fit d’autres concessions à l’opinion populaire. Ce fut ainsi qu’on prit possession des îles Marquises et qu’on ratifia l’acceptation du protectorat de Taïti qu’un brave officier avait assumé. Cette formation de deux établissemens maritimes dans des mers où nous n’avons pas de commerce ne peut se traduire raisonnablement que par un projet d’observer et un besoin d’inquiéter les mouvemens de la marine anglaise et du commerce anglais. À ce point de vue même, je la crois sans efficacité ; des établissemens aussi lointains et aussi isolés ne sauraient se soutenir. Ce que nous aurions de mieux à faire en cas de guerre, ce serait de les abandonner immédiatement, afin de concentrer nos forces au lieu de les tenir éparpillées. Nos deux établissemens de Nossi-bé et de Mayotte ne sont pas au même degré déraisonnables ; cependant on ne voit guère de quelle grande utilité ils