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Dans cette situation, j’ignore si les deux cabinets, alors qu’ils étaient en bonne intelligence, ont eu quelque explication au sujet de leurs armemens respectifs. S’ils en ont eu, à la question posée par le gouvernement français, le gouvernement anglais a dû répondre : « J’augmente ma marine parce que le ton du cabinet de Washington m’y contraint ; jamais l’Europe ne se vit traiter de pareille sorte, jamais mes droits ne furent niés avec tant de hauteur. On déclare aux puissances européennes qu’on ne leur reconnaît pas le droit de former des établissemens dans le Nouveau-Monde, pendant que j’y ai et que j’entends y garder le Canada avec ses dépendances, pendant que j’y possède Balize et la suzeraineté du pays des Mosquitos dans l’Amérique centrale, pendant que nous négocions pour le partage de l’Orégon, qui est resté indivis entre les États-Unis et nous, et dont nous aurons certainement une part. Ce langage est presque une déclaration de guerre. Ensuite le parti qui domine dans l’Union, de concert avec les meneurs des états à esclaves, affiche à l’égard de ses voisins méridionaux les vues les plus ambitieuses, et lie cache pas l’intention d’absorber la Californie et le port de San-Francisco, ce que l’Angleterre est fondée à prendre pour une menace à son adresse. Les hostilités qui ont eu lieu en Chine peuvent à tout instant recommencer, car les populations chinoises ne ratifient pas le traité que nous avons conclu avec la cour de Pékin. Nous avons donc, en dehors de l’Europe, des raisons trop légitimes pour accroître nos armemens. Enfin il faut bien que nous fassions des essais en grand pour arriver à constituer une marine à vapeur, nous qui avons de si nombreuses stations navales à entretenir, tant de postes à administrer et à ravitailler dans toutes les parties du globe. L’augmentation qu’a reçue le budget de la marine britannique répond à peine à tant de nécessités. Voilà loyalement et franchement tout ce qu’il y a au fond de nos armemens. »

Cette réponse que le cabinet de Saint-James aurait pu faire, en 1844 ou 1845, à toutes observations présentées au nom de la France, me semble offrir les caractères de la pure vérité. Voyons ce qu’aurait pu être celle du cabinet français, si on l’eût prié d’expliquer pourquoi tant d’ardeur à grossir le budget de la marine, à semer de canons le littoral, à convertir en places d’armes inexpugnables, du côté de la terre et du côté de la mer, tous les ports de la marine royale, Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon, et toutes nos métropoles commerciales. Pour être sincère, il n’y aurait eu qu’une réponse possible Nous nous préparons pour le cas d’une guerre contre vous. — Mais, auraient repris sir Robert Peel et lord Aberdeen, vous savez bien que nous n’avons pas la pensée de déclarer la guerre à la France ; nous attachons le plus grand prix à rester en paix avec elle. — A cela je ne sais quelle réplique on aurait pu faire ; mais je défie qu’on en trouve