Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une qui soit raisonnable et qui puisse être exprimée en face des chambres.

En France, le ton de la discussion à la tribune et dans la presse était pendant ce temps fort aigre contre l’Angleterre. On saisissait tous les prétextes pour la décrier, pour souffler le feu contre elle, pour exalter l’espoir d’abaisser la puissance anglaise. De la part de plusieurs des hommes les plus éminens et les plus renommés, il semblait que ce fût un parti pris. L’éloquent historien du Consulat et de l’Empire, par son livre qui a été tant lu, a popularisé la croyance que le camp de Boulogne était une belle conception faite pour réussir, en d’autres termes qu’une descente en Angleterre est fort praticable. On peut même croire que les paquebots transatlantiques, qui sont détestables comme navires de marche, mais fort spacieux et fort solidement membrés, ont été construits en vue de servir, le cas échéant, à un semblable dessein. Avec la glorification du camp de Boulogne est venue celle du blocus continental, qui est aujourd’hui fort à la mode en certains lieux. C’est ainsi que quelques personnes, dans notre époque de paix, entendent donner satisfaction au sentiment de progrès qui tourmente le pays, en exhumant, pour les remettre en usage, les instrumens que s’était forgés Napoléon ait comble de sa passion guerrière et qui furent trop lourds pour sa puissante main. Il semblait que tous les paradoxes se fussent donné rendez-vous pour encourager l’entreprise navale dont on avait séduit le public. Ainsi on soutenait que, pour avoir une grande force maritime, il n’est pas nécessaire d’avoir une forte marine marchande, et que des pâtres ramassés, à vingt ou vingt-deux ans, par la conscription dans les montagnes du Cantal ou dans les Hautes-Alpes, et mis à bord d’un vaisseau de ligne, font, au bout de trois ans, d’aussi bons matelots que des hommes nés au bruit des vagues et bercés sur l’océan. Dans sa Note, le prince de Joinville a eu mille fois raison de poser le contraire en principe. Pareillement, l’amiral Duperré à qui l’on parlait, pendant qu’il était ministre, de moyens à prendre pour multiplier les matelots, répondait dans son bon sens que ce n’était pas à lui de fabriquer des matelots, que c’était l’affaire de son collègue le ministre du commerce. Le système d’un personnel artificiel pour la marine de l’état, dans la proportion d’un tiers, n’en a pas moins été préconisé. Il était déjà et il demeure dans notre pratique. Voilà cependant la base sur laquelle repose notre espérance de reconquérir l’empire des mers, car, grace à la politique commerciale qui a été adoptée et que de puissans intérêts veulent et semblent devoir perpétuer, notre grande navigation marchande diminue tous les jours. Chacun des relevés annuels que publie l’administration des douanes atteste une diminution dans le nombre de nos navires de 300 tonneaux et au-dessus. Pendant les neuf années, du