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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/539

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l’influence suprême sera pour nous. Mais enfin, si, par une vue que je crois étroite et fausse, nous devions nous obstiner à reconquérir le Rhin et les Alpes, il me paraît que l’unique moyen de réussir serait de nous allier fortement à l’Angleterre, de l’unir à nous par des engagemens réciproques et non de la combattre, de recommencer l’entente cordiale et non pas d’y substituer les jeux sanglans de la force brutale et du hasard.

Ainsi l’intérêt politique nous porte à abandonner ce système d’armemens excessifs et à reprendre à peu près l’état militaire d’il y a dix ans. Beaucoup d’autres motifs nous le recommandent.

Examinons rapidement nos armemens de terre et de mer dans leurs rapports avec nos finances. La chambre des députés a retenti ces jours passés d’une savante discussion financière, où les orateurs qui ont le plus d’autorité en ces matières ont pris et repris la parole. On y a longuement et habilement disserté sur les causes et les effets de la situation du trésor. Il est fort surprenant qu’on n’y ait même pas nommé nos dépenses militaires. C’est là qu’est le nœud de toutes nos difficultés financières. Ce débat, auquel tant d’orateurs renommés se sont mêlés, a été clos de guerre lasse, sans qu’il en ressortît aucune conclusion propre à édifier le public. C’est qu’en effet il n’y a de question financière qui puisse aujourd’hui aboutir à une solution pratique que celle de savoir si l’état militaire que nous entretenons depuis quelques années est conforme au bon sens et à l’intérêt national, et si d’y persévérer ne serait pas une calamité financière en même temps que politique.

Notre nation, qui est beaucoup moins riche que l’Angleterre, est, on l’a vu, beaucoup plus chargée par ses dépenses militaires. C’est, chez nous, un total annuel de 530 à 550, ou même 570 millions contre 410 à 430 qu’elle débourse. A nous qui sommes les plus pauvres, la guerre que nous ne faisons pas, la guerre que nous ne ferons point, à moins de la vouloir absolument, la guerre nous coûte, tous les ans, 120 à 160 millions de plus qu’à nos rivaux. De la sorte, depuis 1838, nous nous sommes appauvris en comparaison de l’Angleterre de 1,200 millions[1], car ces dépenses improductives font sur la richesse du pays le même effet que si l’on prenait l’argent des contribuables pour le jeter dans la mer. Il y a pourtant des gens de bonne foi en très grand nombre, chez ce spirituel peuple de France, qui sont d’avis qu’un pareil système nous achemine à égaler la puissance britannique.

Nos dépenses militaires sont montées sur un tel pied, que c’est tout

  1. Voyez le tableau, page 523.