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la chambre des députés peut faire l’effet d’un volcan ; mais nous, mieux placés pour en bien juger, nous avons meilleure opinion de la sagesse de nos législateurs. Ce qui prouve pourtant que ce n’est pas seulement la distance qui idéalise pour nous les hommes et les choses de l’antiquité, c’est que Napoléon, presque notre contemporain, nous semble aujourd’hui tout aussi poétique que César pour le moins. C’est peut-être le seul homme des derniers siècles qui ait eu une grandeur antique dans son génie et dans ses fautes. Il semble que la société moderne ait mis plus d’égalité entre les hommes, comme elle a établi moins de disproportion entre les fortunes. Nous avons moins des millionnaires et moins de misérables, moins de grands hommes et plus d’honnêtes gens. Les grandes époques et les grands hommes seront toujours des exceptions. C’est leur originalité même qui fait leur grandeur, et c’est aussi ce qui les empêche de se prêter aux rapprochemens. On peut bien s’amuser à faire ces comparaisons puériles, ces parallèles à deux battemens, quand on a l’ambition innocente de faire figurer un jour son nom dans un cours de littérature à l’usage des écoliers ; mais, si l’on étudie sérieusement les faits pour les reproduire avec fidélité, on est plutôt tenté de prendre pour devise le mot d’Angélique à Thomas Diafoirus : « Les anciens, monsieur, étaient les anciens, et nous sommes les gens d’aujourd’hui. » Ceux qui veulent pourtant à toute force trouver des ressemblances les rencontreront plutôt encore dans les détails de la vie ordinaire, dans les petites passions de tous les jours, les petits intérêts quotidiens, car, si les grands hommes ne se ressemblent guère, les médiocrités se ressemblent ; la foule est partout la foule. Chaque époque aime à se voir dans le passé comme dans un miroir, et, chose bizarre, son plus vif plaisir ou sa plus douce consolation est d’y retrouver ses laideurs. C’est une satisfaction qu’on peut se donner en lisant l’ouvrage de M. Dezobry.

L’auteur de Rome au siècle d’Auguste nous présente, un jeune Gaulois venu de la petite ville des Parisi, de la pauvre Lutèce, misérable amas de masures renfermées dans une île de la Seine et qui doit être un jour Paris. Le jeune voyageur arrive à Rome au commencement du règne d’Auguste ; la république vient de finir, l’empire commence. Rome conserve, sous un despotisme hypocrite, les formes de la liberté ; c’est le bon moment pour la visiter. On peut l’admirer encore : il faut se hâter, il est vrai. Brutus et Cicéron viennent de mourir, mais Tibère va régner. Ce pauvre Gaulois tout naïf ne fait point un pas dans la ville impériale sans y trouver un sujet de stupéfaction. Il fait part de ses impressions à un ami resté en Gaule. Nous autres, ses descendans, un peu plus dégourdis sans doute, nous qui croyons avoir moins de droit de nous étonner, suivons-le un peu dans Rome : les motifs d’étonnement ne nous manqueront pas plus qu’à lui.