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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/549

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volontiers, pour quelques historiens, des pseudonymes sous lesquels se cacheraient discrètement des noms très modernes.

Je ne sais vraiment à qui rapporter l’honneur ou l’outrage de ces prétendues ressemblances ; je ne sais quels sont ceux qui, comme César et Auguste, gouvernent le monde après : l’avoir inondé de sang, quels hommes politiques s’obstinent aujourd’hui, comme Cicéron, Caton et Brutus, à mourir quand leur parti succombe. On ne meurt plus guère avec son parti, on en change, et le suicide politique n’est plus qu’une transformation. Les progrès de la civilisation ont adouci les mœurs publiques ; le mal même s’est rapetissé ; on sait assez qu’il n’y a plus guère de haines implacables. D’ordinaire, les haines viriles ont fait place aux rancunes, l’ambition à l’intrigue, l’orgueil à la vanité : cela tient peut-être à la différence des intérêts. Les ambitions des chefs étaient bien autrement excitées à Reine : la possession du monde connu, de l’Océan à l’Euphrate, voilà quelle était la récompense du vainqueur ; quant aux ambitions subalternes, on les satisfaisait en leur donnant à dévorer l’étendue de pays qui composerait aujourd’hui un de nos grands états européens, les Gaules ou les Espagnes, avec un pouvoir immense dont on abusait presque toujours, et une liste civile dont la probité ou l’avarice du proconsul déterminait seule l’étendue. Ceux qui se contentaient de cela étaient les médiocrités, les gens modestes, les figurans du drame. Si les acteurs et les rôles étaient tout autres, la mise en scène des assemblées politiques était aussi un peu différente : représentez-vous le forum romain, avec ses temples magnifiques, ses milliers d’auditeurs toujours prêts à ensanglanter les discussions, et, au fond de la scène, au lieu d’un orateur en habit noir gesticulant sur le marbre d’une tribune auprès d’un verre d’eau sucrée, figurez-vous Cicéron ou César debout sur cette estrade en pierre où s’étaient tant de fois décidées de si grandes destinées ; derrière l’orateur, au-dessus de sa tête, au lieu de l’urne qui contient le sort des ministères, le Capitole, siège d’un pouvoir immense, et la roche Tarpéienne, suspendue comme une menace, que l’opposition désigne souvent du doigt aux ambitieux, pour rappeler les inconvéniens de la responsabilité ministérielle. Voilà le théâtre : il prêtait à l’émotion ; l’éloquence devait s’en ressentir, les passions en devaient être agrandies.

Sans doute, l’éloignement peut grossir les objets et leur donner des apparences terribles ou magnifiques. Il y a quelques années, dans une lettre publiée en tête des nouvelles de M. Töpffer, M. Xavier de Maistre, venant en France après un long séjour en Russie, passait en revue tous les monumens nouveaux qu’il trouvait à Paris, et, s’arrêtant devant le Palais-Bourbon, s’écriait avec terreur : Ici c’est le Vésuve ! Il paraît qu’aux yeux de l’ingénieux écrivain l’absence avait donné à nos pacifiques débats des proportions formidables. Vue de Saint-Pétersbourg,