tutelle, qu’elles y étaient éternellement traitées comme mineures, et ne pouvaient prendre une détermination valable en justice, sans être assistées de leur père, de leur mari, ou bien, si elles étaient orphelines ou veuves, d’un tuteur légalement constitué. Comme dans toutes les sociétés possibles, elles regagnaient abondamment par leur influence personnelle tous les droits que leur déniait la législation, et, dans la comédie comme dans l’histoire, on voit assez de femmes, selon l’expression de La Bruyère, anéantir leurs maris. On sait l’influence de Térentia sur Cicéron, de Fulvie sur Antoine, et l’espèce d’effroi qu’elles leur inspiraient ; mais, outre cette autorité qu’elles devaient à la débonnaireté de leurs époux et à leurs séductions, la loi, qui les opprimait d’un côté, intervenait pour recommander à leur égard le respect le plus absolu. Un décret du sénat ordonnait de leur céder toujours le chemin ; une autre loi défendait d’employer la force pour les faire comparaître en justice ; enfin il était interdit de faire descendre, sous quelque prétexte que ce fût, un homme du char où il se trouvait avec une femme. Ce respect, les femmes le méritèrent long-temps par leurs vertus : il ne manque pas de gens qui sont tout désolés de trouver quelque part une vertu qui les condamne à l’admiration ; sur ce point, malheureusement, les témoignages sont formels et d’une affligeante uniformité ; aux beaux temps de la république, la femme romaine se montra digne d’avoir donné deux fois la liberté à sa patrie dans la personne de Lucrèce et de Virginie. Le respect pour le mariage était un sentiment général : l’opinion publique interdisait aux poètes de représenter sur la scène des passions adultères ; Plaute et Térence se sont soumis à cette défense ; le seul adultère de la scène romaine est la faute involontaire de la chaste Alcmène dans Amphitryon. Nous ne sommes pas si sévères sur ce point. Il est vrai que les Romains se dédommageaient avec les courtisanes ; c’était à elles que s’adressait l’amour libre, c’étaient elles qui figuraient sur la scène. Et encore ici que de nuances, que de degrés dans la corruption ! L’auteur des Études sur le théâtre latin, M. Meyer, a remarqué avec raison que, parmi ces pauvres filles dévouées à la débauche par leur naissance, on pouvait réellement distinguer deux classes : les courtisanes éhontées et les courtisanes honnêtes. Celles-ci vivaient avec un seul amant dans une sorte de fidélité toute conjugale ; et parmi les premières même, prostituées à de riches libertins, souvent par leur mère, combien relèvent leur métier infame par une délicatesse singulière, par une sorte d’innocence inattendue ! La courtisane amoureuse, celle à qui l’amour refait une virginité, le type étudié chez nous par La Fontaine et par M. Victor Hugo n’est pas rare dans la comédie latine. Voyez la jeune Philénia résistant aux ignobles conseils de sa mère, qui lui recommande de n’aimer que ceux qui paient pour être aimés ; voyez-la, ne pouvant la convaincre, la conjurer du moins
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