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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/575

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à l’aide de ces avantages, un puff de célébrité. J’accepte aussi cette Philaminte revue, corrigée et diminuée, ne prenant au sérieux ni le mérite de ses amis ni le sien, prête à faire bon marché de ses vers, de sa prose et de sa personne. Malheureusement la condition inévitable de ces deux caractères (et c’était là peut-être la vraie difficulté au point de vue comique) est de ne pas croire en eux-mêmes. Or, tout personnage qui se désintéresse ainsi dans sa propre cause, tout ridicule qui semble s’étiqueter d’avance et se dénoncer au public peut encore être spirituel, piquant, étincelant de traits vifs et satiriques ; mais il cesse d’être comique. Philaminte, Armande et Bélise, qui ont toutes trois une physionomie différente, se ressemblent toutes trois, en ce que, jusqu’au dernier hémistiche, elles n’ont pas l’air un moment de se croire plaisantes. Si je voulais essayer de définir ce mot indéfinissable, le comique, je dirais que c’est le ridicule convaincu, le plaisant pris au sérieux par lui-même, et offrant, par ce contraste, au spectateur, un inépuisable sujet d’études sur le cœur humain. Malheureusement l’idée même du Puff excluait ce comique-là, et la première conséquence d’une donnée reposant sur le mensonge était de nous présenter des personnages qui savent qu’ils mentent.

Il y a lieu à une autre remarque à propos de Corinne et du comte de Marignan. Quelle que soit l’influence du puff, quel que soit aussi le verre grossissant toléré au théâtre, il faut convenir pourtant que les choses ne se passent pas tout-à-fait ainsi dans le monde. Il peut fort bien arriver qu’un homme riche écrive un livre médiocre, et que ce livre arrive à la seconde édition avant la première. Il n’est pas sans exemple qu’avec de beaux yeux et d’aimables sourires on ait fait admirer dans l’intimité de son salon de petits vers ou de légers opuscules ; mais il faut autre chose, même de nos jours, surtout de nos jours, pour parvenir à la position que paraissent occuper M. de Marignan et Corinne. Pour réussir à diriger, même en la trompant, l’opinion publique, à faire trembler amis et ennemis, à élever ou démolir les candidatures, à exercer, en un mot, une véritable influence, sans doute il ne messied pas d’un peu de charlatanisme ; mais il faut aussi du talent. Or, il est facile de voir que Corinne et M. de Marignan n’en ont pas, qu’ils sont des littérateurs d’athénée et rien de plus. M. Scribe, je le sais et on ne peut que l’approuver, a voulu, avant tout, rendre impossibles les allusions personnelles : fidèle à ce tact qui l’a toujours caractérisé, il a repoussé ce facile moyen de succès, qui consiste à faire mettre des noms au bas d’un portrait ; et, pour dérouter la malice, il a composé son tableau, comme Praxitèle ses statues, avec des détails épars sur diverses figures contemporaines. Il faudrait pourtant qu’en regardant autour de soi, on pût trouver une application plus directe de ces deux rôles : sur ce point, mais sur ce point seulement, M. Scribe a dépassé le but au lieu de l’atteindre.

Bien qu’il soit hasardeux chez un critique de vouloir refaire ce qu’a fait avec tant de bonheur et de grace un auteur tel que M. Scribe, et de substituer ses propres idées à des idées si spirituellement mises en scène, il me semble que ces deux représentans du puff littéraire, ce Trissotin et cette Philaminte, conçus autrement, auraient été plus actuels et plus vrais. J’aurais voulu, par exemple, que ce Marignan nous fût présenté comme ayant débuté simplement par être un écrivain, et un écrivain de talent. Le talent l’a conduit, et sans que le puff s’en mêlât, à la célébrité et au bien-être. Il entre alors dans sa seconde phase, aussi menteuse, aussi hérissée de puffs que la première a été simple et sincère, Il ne