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les projets audacieux et gigantesques, aspirait à la gloire de vaincre son ennemi sur un élément où jusqu’alors il dominait sans rival. Il se proposait de porter la guerre au centre même des provinces aragonaises, d’assiéger leur capitale aussitôt qu’il lui serait permis de reprendre les hostilités. En même temps il essayait d’entraîner le prince Louis de Navarre dans une coalition contre Pierre IV, lui promettant en retour de défier le roi de France, son ennemi, et d’aller porter la guerre au-delà des Pyrénées[1]. Au milieu de ces préparatifs et de ces négociations, c’est-à-dire au commencement de l’année 1358, doña Aldonza Coronel vint à Séville pour solliciter, comme sa sœur, la grace de son mari, Alvar de Guzman, réfugié en Aragon[2]. D’abord elle demeura auprès de doña Maria dans le couvent de Sainte-Claire, et quelque temps parut insensible aux marques d’amour que lui donnait don Pèdre. Vaincue à la fin, elle quitta volontairement le monastère, et accepta un logis préparé pour elle par le roi dans la tour del Oro, située au bord du Guadalquivir. Là elle eut bientôt une maison royale, une espèce de garde : chevaliers, écuyers pour la défendre au besoin ; en un mot elle devint à tous les yeux la maîtresse préférée du roi de Castille. Ayala rapporte que don Pèdre, toujours excessif dans ses amours, avait commandé à l’alguacil-mayor de Séville d’obéir, comme à lui-même, aux ordres donnés pendant son absence par doña Aldonza, et transmis par les chevaliers commis à sa garde ; car, suivant toute apparence, la favorite était invisible comme une sultane de l’Orient. Cependant Marie de Padilla occupait toujours dans la même ville l’Alcazar ou le château royal ; elle avait sa maison de reine, sa cour, sa garde de chevaliers. Imitateur du despotisme des princes musulmans, don Pèdre tenait peut-être à honneur d’avoir, comme eux, plusieurs femmes rivales de puissance et de faste. Tandis que l’ancienne et la nouvelle maîtresse, chacune dans son château fort, semblaient se défier, les fréquentes absences du roi, que son goût pour la chasse éloignait de Séville souvent pour plusieurs jours, pouvaient donner lieu à de graves conflits entre ces femmes jalouses qui partageaient la cour en deux camps ennemis.

Pendant une de ces absences du roi, Juan de Hinestrosa vint à Séville, de retour d’une mission en Portugal, apportant la promesse d’Alphonse IV de coopérer par l’envoi d’une escadre à l’expédition qui se préparait contre l’Aragon. Don Pèdre, qui chassait aux environs de

  1. Le roi de Navarre était alors prisonnier du roi de France. Le prince Louis, régent de Navarre, était en même temps sollicité par le roi d’Aragon, et faisait des deux côtés des promesses qu’il n’avait nullement l’intention de tenir. Zurita, t. II, p. 282, 284. Carbonell, p. 185.
  2. Que penser de la jalousie de don Alvar, qui envoyait sa femme solliciter à Séville le roi amoureux d’elle ?