qu’ainsi, tout en maintenant en apparence les dogmes fondamentaux du christianisme, il en détruisait l’économie, y portait un esprit nouveau, et faisait dépendre toute la religion d’un principe panthéiste profondément contraire à l’esprit évangélique.
Aussi le monde chrétien s’émut, et, même après la décision des conciles, l’ébranlement se prolongea. On peut dire que l’arianisme, celle de toutes les hérésies qui a le plus menacé les destinées de l’église, ne fut qu’une réaction excessive contre la doctrine de Sabellius. Celui-ci ne voulait pas distinguer Dieu le père et Dieu le fils. Arius, pour les mieux distinguer, les sépara radicalement. Plus de Verbe incarné, coéternel et consubstantiel à Dieu ; ce qu’Arius appelle Verbe incarné, ce n’est plus qu’un dieu inférieur, un dieu dépendant, un démiurge, un ange, et voilà Arius aboutissant, lui aussi, par un chemin différent à la négation de la divinité du Christ, dernière conséquence du sabellianisme.
Les hérésies contraires d’Eutychès et de Nestorius, qui ont tant agité l’église primitive, nous présentent un spectacle analogue sur des proportions moins étendues. Nestorius, méditant le mystère de l’homme-Dieu, n’avait pu admettre que la Divinité elle-même eût traversé les vicissitudes de la naissance et de la mort, qu’elle eût enduré les angoisses du jardin des Oliviers et les douleurs du Calvaire. Deux abîmes s’ouvraient à ses côtés : d’une part, un Dieu tout humain, comme ceux du paganisme, le Christ substitué à Jupiter ; de l’autre, un Dieu indivisible, pur sans doute de toute imperfection dans son essence absolue, mais qui, par une loi nécessaire, se développe et s’incarne sans cesse dans la nature et dans l’humanité, le dieu de Sabellius. Pour éviter ce double écueil, il admit qu’il y a dans le Christ, non-seulement deux natures, mais deux personnes. C’est la personne humaine en Jésus-Christ qui a souffert sur la croix ; la personne divine, retirée en soi, restait inaccessible à toute atteinte, à toute passion.
La conséquence d’une telle doctrine, c’est que Dieu ne s’est vraiment pas incarné, c’est qu’il n’est pas vraiment mort sur le Calvaire, c’est que le Christ n’est vraiment pas Dieu, mais un homme supérieur, plus étroitement uni à Dieu, plus favorisé de ses graces et de ses lumières que le reste des hommes. Voilà où la peur du panthéisme sabellien jeta Nestorius. Non moins sincère, non moins ardent que le respectable évêque de Constantinople, le pieux moine Eutychès revint à l’extrémité opposée, celle de Sabellius. Il soutint que la nature humaine dans le Christ, loin d’être séparée de la nature divine, y était au contraire absorbée. Dieu, suivant Eutychès, en revêtant la nature humaine, l’a comme engloutie ; c’est l’Océan poussant au loin ses vagues immenses et emportant une goutte d’eau égarée sur le sable du rivage. Le Christ ici n’est plus un homme, c’est Dieu même. Et alors il faut de deux choses l’une : ou dire avec les gnostiques que le Christ n’a eu qu’une