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même flamme du panthéisme renaissant va allumer l’ame ardente de Michel Servet. Tandis que s’élèvent de partout dans les universités de nouveaux platoniciens, il va sortir de l’église déchirée de nouveaux sabelliens. Le trait qui caractérise Servet, c’est d’avoir participé tout ensemble au mouvement philosophique et au mouvement religieux de son siècle, et d’avoir essayé de faire concourir les deux mouvemens. Bruno, Patrizzi, ne sont que des métaphysiciens et n’ont pour le christianisme que de la haine. Calvin et Socin ne sont que des théologiens, et la métaphysique leur est étrangère ou indifférente. Servet est un métaphysicien et un théologien tout ensemble, chrétien sincère comme Calvin, métaphysicien panthéiste comme Bruno, enflammé d’un sérieux désir de reformer le christianisme par le panthéisme.


IV. – PHILOSOPHIE PANTHEISTE DE MICHEL SERVET.

Le point de départ de la métaphysique de Michel Servet, c’est que Dieu, considéré en soi dans les profondeurs de son essence incréée, est absolument indivisible[1]. Rendons-nous compte de ce principe, de son origine et de sa portée. Servet ne se donne pas pour l’avoir inventé : il l’emprunte à la tradition néo-platonicienne, à ses autorités favorites, Numénius et Plotin, Porphyre et Proclus, Hermès Trismégiste et Zoroastre. Et en effet, ce principe de l’absolue indivisibilité de Dieu a été et devait être hautement proclamé par toutes les écoles panthéistes et mystiques de l’antiquité. C’est le génie du mysticisme, de ne voir dans toutes les formes de la vie individuelle que des ombres fugitives et décevantes, dans la vie elle-même, depuis son plus humble degré jusqu’au plus sublime, qu’une stérile agitation, et de concevoir au-dessus de ce courant de phénomènes où l’existence se divise et se perd un principe immobile, simple, pur, exempt de toute action, de toute division, où tout doit s’identifier et s’unir. Le panthéisme paraît d’abord animé d’un génie tout contraire. Son Dieu est un Dieu vivant ; il agit, il se développe par la nécessité de son essence ; il se mêle à la nature ; il est la nature elle-même, en revêt toutes les formes, en monte, en descend et en remplit tous les degrés. Mais, si le Dieu du panthéisme est

  1. Ne voulant pas prodiguer les citations, nous nous bornerons ici à quelques textes précis et catégoriques :
    « Invisibilis Deus, qualis ante creationem mundi fuerit, est omnino nobis inintelligibile et inimaginabile… » (Servet, De Trinitate, dial. I, irait.)
    « Primo hoc notandum, abusive Deo tribui nature nomen… Deus tamen in seipso nullam habet naturam… Nulla Deo convenit naturœ ratio, sed quid aliud ineffabile… » (De Trin., dial. II.)
    « … Deus in seipso inintelligibilis est… » (De Trin., II, ad calcem.)
    « Mens de Deo cogitans deficit, cunt sit ille incomprehensibilis… » (Christ. Restit., libr. III, p. 94.)