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« Votre Trinité, s’écrie-t-il, votre Trinité est une œuvre de subtilité et de démence. Vous nous parlez d’un Dieu en trois hypostases, ou, si l’on veut, en trois personnes. Qu’est-ce d’abord qu’un tel langage ? L’Évangile ne le connaît pas[1]. Les anciens pères, les saint Ignace, les saint Irénée, les Tertullien, sont étrangers à ces distinctions vaines. C’est à l’école des sophistes grecs que vous les avez apprises, vous, Athanase, prince des trithéistes, et vous aussi, Augustin[2]. Sans doute les mots de Père, de Fils, d’Esprit-Saint, se rencontrent dans les Écritures, mais pour désigner le même Dieu dans les divers modes de son action sur l’univers. Au lieu de ce Dieu unique, vous nous présentez trois hypostases divines. Sont-ce trois substances ou trois essences ? Dans les deux cas, ce sont trois dieux. Vous dîtes que ce sont trois personnes ; mais la personnalité ne se peut diviser : elle est une ou elle n’est pas[3]. Point de milieu : ou il n’y a en Dieu qu’une substance, une essence, une personne, ou il y a trois dieux. Quoi de plus absurde que ce trithéisme, et quel abîme de contradictions ! Dieu le père agit sur Dieu le fils ; Dieu le fils, avec ou sans son père, agit sur le Saint-Esprit. Dieu agit donc sur lui-même ; mais, s’il agit, il pâtit aussi. S’il agit et pâtit, il change, il se meut[4]. Que d’absurdités réunies ! Un premier dieu qui engendre, un second dieu qui est engendré et n’engendre pas, un troisième dieu qui n’engendre pas et n’est pas engendré. Ce n’est pas tout. Sur ces trois dieux, il y en a un qui se fait homme, les autres restant dieux ; un qui souffre, les autres restant impassibles ; un qui meurt, les autres restant vivans[5]. Étrange dieu composé de dieux, dieu par addition, dieu brisé, mis en morceaux ! Théisme dégénéré, mille fois inférieur à celui du mosaïsme et du Thalmud, inférieur même à la théologie du Koran[6] ! Divinité ridicule, qui nous ramène jusqu’au paganisme, au Cerbère à trois têtes de la vieille mythologie[7] ! »

Ici, comment se défendre d’une douloureuse émotion, quand on songe au compte terrible que Calvin demandera à son adversaire, devant des hommes simples, devant des juges chrétiens, de ces paroles

  1. « Simplex alia est veritatis via, non metaphysicis, sed idiotis et piscatoribus nota… » (Lettres à Calvin, p. 594.)
  2. Christ. Rest., lib. I, p. 24.
  3. Christ. Rest., lib. I, p. 16.
  4. Lettres à Calvin, p. 591.
  5. « Veri ergo hi sunt tritoitae, et veri sunt athei, qui Deum unum non habent, nisi tripartitum et aggregativum… Est quidam ingenitus deus, est quidam nec genitus, nec ingenitus deus : ergo tres dii. Unos est deus mortuus, duo non mortui… » (Christ. Rest., I, 25.)
  6. Christ. Rest., lib. I, p. 30. — Ibid. Ad calcem.
  7. « Sed hanc viam tritoitœ non sunt ingressi… Tricipitem quemdam Cerberum, tripartitum quemdam deum, quasi tria puncta in uno puncto, tres illas res in una re condusas, inintelligibiliter somniant. » (Christ. Rest., lib. III, p. 100.)