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une manière d’alchimiste et d’illuminé, et ses spéculations bigarrées de théologie et de médecine, de physique et d’astrologie, n’inspireraient qu’un profond dédain, si on ne songeait qu’au XVIe siècle ces rêveries sont la commune infirmité des plus grands génies, si, d’ailleurs on ne voyait briller quelques éclairs au milieu de ce chaos : tantôt des vues particulières, pleines de hardiesse et d’avenir, sur la circulation et la génération, tantôt des aperçus généraux sur l’harmonie secrète des lois de l’intelligence et des lois de la nature, et sur les analogies qui enchaînent tous les degrés de l’échelle des êtres[1].

Il est clair que cette théorie du Christ détruisait radicalement le dogme de l’incarnation, comme la doctrine de Servet sur l’indivisibilité absolue de Dieu abolissait le dogme de la Trinité, comme sa conception d’un monde intelligible qui émane de Dieu par une loi nécessaire et se réfléchit éternellement dans le monde visible sapait par la base le dogme de la création. Voilà donc toute la métaphysique du christianisme renversée. Servet respectera-t-il davantage la morale chrétienne, dont la racine est le dogme de la rédemption ? Tant s’en faut Servet admet à la vérité une chute primitive, un abaissement de la nature humaine en Adam ; mais il rejette l’idée[2] d’une transmission héréditaire du péché originel, et supprime, en conséquence, le baptême des petits enfans[3]. Il ne reconnaît pas la nécessité de la grace pour le salut, ni celle de la foi aux promesses de Jésus-Christ. Aussi sauve-t-il les mahométans, les païens et tous ceux qui auront vécu selon la loi naturelle[4].

En résumé, la Trinité restreinte à une distinction de points de vue, le Christ devenu une idée, l’idée éternelle de l’humanité, l’incarnation réduite à une forme supérieure de cette idée, la chute d’Adam à un abaissement de la nature humaine, la rédemption au retour de cette nature vers sa pureté primitive, tel est le christianisme de Servet. Supprimez la métaphysique panthéiste qu’il emprunte à l’école néoplatonicienne et qui sert d’instrument à cette négation radicale de tous les dogmes chrétiens, ne gardez que la négation elle-même, et vous avez le socinianisme. À cette condition seule, la doctrine de Michel Servet pouvait devenir populaire. Embarrassée dans la profondeur et la subtilité de ses conceptions transcendantes, elle n’est dans Servet qu’une philosophie ; dégagée de ce cortége, réduite à ses conséquences les plus simples, elle va devenir avec les Socin une religion.

  1. Christ. Rest., lib. IV et V. — Ibid., de Trin. Dial., II, p.250 sqq.
  2. Christ. Rest., De Regen. sup., lib. I.
  3. Ibid., lib. IV. — Coef. Epist. ad Calv., passim.
  4. Ibid., De Fide et Just., lib. III.