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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/624

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Ainsi, une logique irrésistible précipitait le mouvement de la réforme. Luther ne voulut d’abord toucher qu’aux indulgences et au culte ; mais bientôt, portant la main sur la doctrine de la grace, il modifia profondément toute l’économie de la morale chrétienne. Purifier le culte et la morale en conservant le fond du christianisme, tel est le but que se propose Calvin, telle est la pensée dont l’Institution chrétienne reste l’immortel monument. Mais que peuvent le génie et même la grandeur du caractère contre la force des idées ? Calvin avait déclaré le christianisme corrompu dans sa morale. Servet le déclara corrompu dans sa métaphysique et prétendit le refondre depuis la base jusqu’au faîte. Or, à mesure qu’il retouchait chaque dogme, il le niait. Socin réunit ces négations et fit un christianisme d’où la divinité de Jésus, c’est-à-dire l’ame du christianisme, était absente. Un pas de plus, et cette ombre de christianisme se dissipe pour faire place à la religion du vicaire savoyard.

La doctrine des Socin derrière celle de Michel Servet, et derrière le socinianisme lui-même le déisme, voilà ce qu’aperçut l’œil perçant de Calvin. C’est le socinianisme et le déisme qu’il poursuivit, qu’il frappa, qu’il voulut exterminer en Michel Servet. On a expliqué le supplice de cet infortuné par la haine de Calvin ; mais la haine de Calvin veut aussi être expliquée. Ce fut sans doute une haine personnelle, nous en donnerons prochainement des preuves irrécusables, mais ce fut aussi une haine d’idées. Calvin détestait en Servet, non-seulement son contradicteur obstiné, tranchant, orgueilleux, indomptable, mais l’homme qui venait précipiter la réforme dans l’abîme du socinianisme et donner raison à ceux qui la proclamaient incapable de donner une règle de foi et de contenir les témérités de l’indépendance, en un mot celui qui venait détruire l’ouvrage de sa vie.

Voilà ce qu’il faut comprendre, je ne dis pas pour absoudre la conduite de Calvin dans le procès de Michel Servet, mais pour l’expliquer et la juger avec la haute impartialité de l’histoire.


EMILE SAISSET.