en lui coupant le pas de manière qu’il ne pût s’asseoir à côté de Clémentine.
Il se retourna alors sans affectation vers la baronne, et se contenta de jeter quelques regards discrètement expressifs à Mlle de l’Hubac.
Cette journée s’écoula sans que le marquis parût se souvenir de ce qui s’était passé dans sa chambre à l’heure de son lever. Chacun avait à peu près le même visage que de coutume, et l’on fit exactement les mêmes choses que la veille autour du tapis vert. Seulement Mlle de Saint-Elphège s’arrangea de manière à ne pas perdre sa nièce de vue un seul instant ; elle la tint en quelque sorte bloquée au coin de la table de jeu, et s’empara d’elle lorsqu’il fallut descendre à la salle à manger ; pourtant, avant la fin de la soirée, Clémentine eut le temps de dire précipitamment et à voix basse au petit baron : — Antonin ! monte après souper à la bibliothèque, j’y serai.
Il était près de minuit, et de l’Hubac attendait seule encore dans la bibliothèque. Le flambeau qu’elle avait posé sur le pupitre de basane, jetait une clarté tremblotante qui ne rayonnait qu’autour de la table, chargée de livres, et permettait à peine de distinguer les lambris poudreux contre lesquels étaient rangées les collections d’insectes. Quelques papillons nocturnes, échappés des cornets de papier où les avait fait éclore le petit baron, battaient l’air de leurs lourdes ailes, et se précipitaient, attirés par la lumière, vers le flambeau qu’ils menaçaient d’éteindre. Au dehors, le vent de la nuit murmurait tristement, et la lune montrait son pâle visage à travers les nuées errantes. Quelques mois auparavant, Mlle de l’Hubac. serait sans doute morte de frayeur, si elle s’était trouvée ainsi seule à pareille heure et en pareil lieu elle était dans une disposition d’esprit qui éloignait d’elle toute crainte puérile, et c’était sans songer aux apparitions surnaturelles qu’elle attendait depuis une heure, les yeux tournés vers la porte entr’ ouverte, l’oreille attentive aux légers frôlemens qui parfois la trompaient et lui faisaient croire qu’un pas furtif résonnait dans l’escalier. Enfin un bruit distinct se fit entendre, et presque aussitôt Antonin entra précipitamment dans la bibliothèque en s’écriant : — C’est ma mère qui m’a retenu si long-temps. Ah ! ma pauvre Clémentine, comme tu as dû trembler toute seule ici !
— Je n’avais peur que d’une chose, répondit-elle, c’est que tu ne vinsses pas. Si tu savais, Antonin ! si tu savais ce qui se passe !
— Je le sais ; ma mère vient de me parler, dit-il d’un, air tout à la fois ému, joyeux et embarrassé.
— On veut nous marier, mon bon Antonin ! reprit-elle avec l’accent d’une douleur profonde.