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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/659

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— Cela te fait beaucoup de peine ? lui demanda le petit baron interdit.

— Tant de peine que j’en mourrai ! s’écria-t-elle en pleurant ; vois-tu Antonin, je suis accoutumée à te chérir comme un frère, mais je ne pourrai jamais, jamais t’aimer autrement, et la seule pensée de ce mariage me réduit au désespoir. Tu ne comprends pas cela, parce que tu es encore un enfant.

— Un enfant à peu près de ton âge, observa le petit baron.

— C’est vrai, répondit-elle naïvement, et pourtant il me semble que tu es beaucoup trop jeune pour être mon mari.

— Est-ce que tu aimerais mieux que j’eusse l’âge de M. de Champguérin ! interrompit-il sans aucune arrière-pensée.

Clémentine rougit beaucoup et perdit un moment le fil de ses idées ; puis elle reprit en joignant les mains ! — Que faire mon Dieu ! pour éviter le malheur qui nous menace ? Oh ! mon cher Antonin, cherche, je t’en supplie, quelque moyen de rompre notre mariage.

— Comment déclarer devant mon oncle que sa volonté n’est pas la tienne ! s’écria le jeune baron ; comment lui dire en face que tu es déterminée à lui désobéir ?

— J’ai osé déjà, répondit-elle en frissonnant au seul souvenir de cet acte de courage ; j’ai déclaré ce matin que je ne voulais pas me marier, alors M. le marquis, ma ante Joséphine et M. de La Graponnière lui-même se sont tournés contre moi. Je ne me suis pas rétractée pourtant, mais intérieurement la force m’abandonnait. J’aurais faibli si j’étais restée. J’avais peur, et maintenant je sens bien que je n’élèverai pas une seconde fois la voix. J’ai toujours devant les yeux le visage irrité de mon oncle. Va, toi aussi, Antonin, tu aurais tremblé à ma place !

— Peut-être, répondit-il en réfléchissant. Et, après un long silence, il ajouta : — Ma bonne Clémentine, tu es donc certaine que notre mariage ferait ton malheur ?

— J’en mourrais de chagrin, répondit-elle avec un accent profond et en arrêtant sur les yeux d’Antonin ses beaux yeux pleins de larmes.

Il lui en soupirant et prêt à pleurer aussi, tant il était touché et attristé de cette douleur dont il ne comprenait pas la cause ; puis, se remettant, il dit d’un air de subite détermination : — Ne pleure plus, Clémentine, et sois tranquille ; je te promets qu’on ne nous mariera pas malgré ta volonté.

— Ah ! mon bon Antonin, mon frère, s’écria-t-elle, je savais bien que je pouvais compter sur toi ! Que veux-tu faire ?

— Tu le sauras demain ici, répondit-il. Maintenant, dépêchons-nous de nous retirer. J’ai une frayeur mortelle de ta tante Joséphine. Tu sais comme elle a rodé autour de ta chambre l’autre nuit.

— Oui, et je tremble qu’elle ne soit revenue, dit Mlle de l’Hubac en se levant précipitamment. Seigneur mon Dieu ! à quoi sommes-nous