Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur correspondance avec les mécontens des principales villes de Castille. Don Juan d’Aragon, se croyant déjà sûr d’obtenir la seigneurie de Biscaïe, avait résigné entre les mains du roi la charge d’adelantade de la frontière, qui fut aussitôt conférée à Enrique Enriquez, alguacil-mayor de Séville. Garci Gutier Tello, chevalier d’une naissance illustre, remplaça ce dernier dans les fonctions difficiles de magistrat suprême de la plus grande ville du royaume. Les ordres de mort, les brevets d’investiture étaient expédiés d’avance et ne retinrent pas don Pèdre un instant à Séville. Sept jours lui suffirent pour se rendre à Aguilar del Campo, dans le royaume de Léon[1], où il espérait surprendre don Tello, son frère, avant que le bruit de la mort de don Fadrique l’eût obligé à se mettre sur ses gardes. Une diligence aussi extraordinaire à cette époque suppose des relais commandés, et prouve suffisamment que la mort du maître de Saint-Jacques n’était que le début d’un vaste plan, longuement médité et préparé avec une singulière prévoyance. Il s’agissait pour don Pèdre de fonder le despotisme royal sur les ruines du pouvoir aristocratique ; depuis long-temps il n’avait pas d’autre pensée. Un hasard sauva don Tello. Il était à la chasse lorsque le roi, entrant dans Aguilar, fut reconnu par un écuyer qui courut aussitôt prévenir son maître. Don Tello s’enfuit à toute bride sans regarder derrière lui. Arrivé en Biscaïe, il n’essaya point de soulever cette province, où deux ans auparavant il avait victorieusement repoussé les forces du roi ; il ne s’arrêta pas un instant pour réunir ses vassaux ou leur donner des ordres ; il ne songeait qu’à mettre la mer entre son frère et lui. Le 7 juin, il, s’embarquait à Bermeo dans une chaloupe pour gagner Bayonne. Peu d’heures après, don Pèdre entrait à Bermeo, et, se jetant dans le premier navire qu’il trouva, il lui donna la chasse jusqu’à la hauteur de Lequeitio. Là, les vents contraires et la mer menaçante l’obligèrent de renoncer à la poursuite. Moins heureuse que son mari, doña Juana de Lara, femme de don Tello, était demeurée prisonnière dans le château d’Aguilar[2].

On s’explique difficilement la conduite des Biscaïens à l’arrivée du roi. Pas une épée ne sortit du fourreau pour défendre les droits de l’héritier de Lara, et ces hardis montagnards, qui naguère se levaient en masse pour repousser l’invasion d’une armée castillanne, semblent avoir accueilli sans opposition, bien plus, avec allégresse, don Pèdre poursuivant leur seigneur avec quelques arbalétriers. Sans doute le gouvernement de don Tello avait indisposé le peuple basque, si jaloux de ses antiques libertés. Cet Avendaño, qui d’abord avait conduit ses compatriotes contre les troupes du roi, et qui, depuis, avait péri assassiné par

  1. Ayala, p. 243.
  2. Ibid., p. 243 et suiv.