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baigné dans son sang lorsque don Pèdre descendit dans la cour, cherchant de l’œil quelques-uns des chevaliers de Saint-Jacques qu’il avait résolu de faire périr avec leur chef. Mais on a vu que, pendant que don Fadrique rendait visite à Marie de Padilla, les portiers avaient fait vider la cour à toute sa suite. Il n’y restait plus que le premier écuyer du Maître, Sancho Ruiz de Villegas, qui, en apercevant le roi, se précipita dans l’appartement de Marie de Padilla et saisit entre ses bras l’aînée de ses filles, cherchant à s’en faire une sauve-garde contre les meurtriers. Don Pèdre, qui le suivait la dague au poing, lui fit arracher l’enfant et lui donna le premier coup ; puis, un de ses courtisans, ennemi particulier de Sancho de Villegas, l’acheva sur la place. Laissant la chambre de sa maîtresse inondée de sang, le roi redescendit dans la cour et s’approcha du Maître, qu’il trouva gisant à terre, immobile, mais respirant encore. Il tira son poignard et le remit à un esclave africain[1] pour donner le coup de grace au moribond. Alors, assuré de sa vengeance, il passa dans une salle à deux pas du cadavre de son frère et se mit à table[2].

Don Pèdre pouvait manger devant son ennemi mort ; mais ses repas ne ressemblaient pas à ceux de Vitellius. Il lui fallait prendre des forces, car il avait de rudes fatigues à soutenir. Un moment après, il était à cheval courant vers le nord. Cependant il avait eu le temps de dépêcher des arbalétriers aux principaux partisans de don Fadrique. A Cordoue, à Salamanque, à Mora, à Toro, à Villarejo, ces messagers de mort allaient exécuter ponctuellement leurs ordres terribles. L’heure de la vengeance avait sonné, et l’implacable mémoire de don Pèdre allait punir toutes les offenses qu’il avait dissimulées jusqu’alors. Il n’avait oublié ni Alphonse Tenorio, qui avait tiré l’épée en sa présence aux conférences de Toro[3], ni Lope de Bendaña, ce commandeur de Saint-Jacques qui l’avait joué lorsqu’il vint aux portes de Segura[4]. Ce furent ses plus illustres victimes. Les autres, agens plus ou moins obscurs de don Fadrique ou du comte de Trastamare, étaient les intermédiaires de

  1. Un Moro de su camara, Ayala. — M. Llaguno a préféré la leçon mozo de su camara, un page de sa chambre, donnée par quelques manuscrits. Mais l’Abrégé et les meilleures copies donnent Moro. Il me paraît vraisemblable que don Pèdre, comme tous les despotes, aimât à s’entourer de serviteurs étrangers. On verra plus tard qu’il donna le commandement des arbalétriers de sa garde à un Géorgien. Malgré les détails circonstanciés que fournit Ayala sur cet événement, on n’est point d’accord, parmi les antiquaires de Séville, sur le lieu précis où fut tué don Fadrique. Suivant la tradition conservée par les portiers de l’Alcazar, le Maître aurait été assassiné dans la salle des azulejos (mosaïques en faïence). On y montre encore les traces de son sang comme on montrait à Blois le sang du duc de Guise. Ayala dit positivement que le Maître fut tué dans la cour, et que don Pèdre dira dans la salle des azulejos.
  2. Ayala, p. 237, 243,
  3. V. p. 974.
  4. V. p. 969.