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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/660

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réduit ! On veut nous marier par force, et pourtant on nous défend de nous témoigner l’amitié que nous avons l’un pour l’autre, et nous sommes obligés de venir ici en cachette pour parler librement et nous tutoyer à notre aise.

— Comme de vrais amans, dit Antonin avec un léger soupir.

— Ne crois pas cela, lui répondit vivement Mlle de l’Hubac ; quand on aime, on a presque peur de se trouver près de l’objet de son amour, on le fuit au lieu de rechercher son entretien ; on n’ose lui parler, on tremble à son approche. C’est un bonheur qui est comme une souffrance, et, sans doute, il faut long-temps pour s’y accoutumer.

— Qui donc t’a appris toutes ces choses ? demanda le petit baron étonné.

— Je les ai lues quelque part, répondit-elle.

— Moi, je n’ai pas encore trouvé cela dans mes livres, dit Antonin avec une parfaite ingénuité ; c’est que M. l’abbé ne me met entre les mains que des ouvrages savans.

Mlle de l’Hubac rentra dans sa chambre presque consolée Cet entretien avait relevé son courage : elle se fiait aux assurances de son cousin et escomptait sur la promesse qu’il lui avait faite d’empêcher leur mariage. Ses prévisions et ses calculs n’allaient pas plus loin ; comme toutes les jeunes filles qui font en secret le beau roman de leur premier amour, elle ne songeait à l’avenir qu’avec de vagues espérances, et les désirs, les vœux passionnés de son cœur n’aspiraient à aucune réalité.

La pauvre enfant eut un tranquille sommeil cette nuit-là, et le lendemain à son réveil elle écouta sans frayeur l’horloge qui sonnait dix heures. — Ah ! ciel, je n’ai que le temps de m’ajuster un peu, s’écria-t-elle en écartant les couvertures brodées de son lit ; vite, vite, Josette, mon déshabillé. Que dirait ma belle tante, si elle savait que je me suis levée si tard aujourd’hui ! — Dieu nous garde qu’elle le sache, répondit la suivante en jetant sur les épaules de sa jolie maîtresse une espèce de manteau de toile peinte a larges manches ; Mme la baronne est si diligente qu’elle se lève dès que le coq a chanté. Souvent elle se promène dans le château avant qu’il fasse clair.

— Je le sais bien, dit Mme de l’Hubac ; une nuit que je ne dormais pas, je l’ai entendue. Comme la journée doit paraître longue quand on est debout de si grand matin

— C’est comme M. le marquis, il ne dort jamais, reprit Josette ; toute la nuit, ses valets de chambre lui font des contes, ou bien M. de la Graponnière lui tient compagnie, et le soleil n’est pas près de poindre encore qu’il a déjà demandé sa tasse de chaudeau.

Mlle de l’Hubac se disposait à descendre dans la salle verte lorsqu’un coup frappé brusquement à sa porte la fit tressaillir. Josette courut le verrou en chantonnant.

Ma tante Joséphine ! murmura Mlle de l’Hubac presque effrayée.

La vieille fille entra d’un air composé ; mais il était facile de