moment était arrivé pour Mlle de l’Hubac, et la question que venait de lui adresser son cousin était l’appel du sort ; elle hésita avant de répondre ; mais une voix fatale s’éleva dans son cœur, et ce fut sa mauvaise fortune qui l’emporta.
— Non, mon cher Antonin, dit-elle après un silence, non ce mariage ne doit pas s’accomplir ; tu mérites plus de bonheur. Il faut que tu épouses une femme qui t’aimerai non pas plus tendrement que moi sans doute, mais d’une autre manière. Hélas ! que ne nous a-t-on toujours permis cette amitié de frère et de sœur ! nous ne serions pas réduits à nous séparer ainsi !
— Je t’écrirai, dit vivement le petit baron ; c’est ma mère qui te remettra mes lettres ; je l’en ai priée déjà, et elle y a volontiers consenti.
En ce moment, le coq chanta dans une des maisonnettes du village. — Qu’il est tard, mon Dieu ! reprit le jeune baron d’une voix triste ; je crois que le jour ne tardera pas à paraître.
— Eh bien ! nous allons nous quitter, dit Mlle de l’Hubac avec une sorte de tranquillité. Puis, jetant autour d’elle un long regard, elle ajouta : — Souvent je reviendrai ici songer à toi. — Tu auras bien soin de mes collections d’insectes, n’est-ce-pas ? dit Antonin en se détournant pour cacher les larmes qui lui venaient aux yeux ; je te recommande surtout les papillons… — Sois tranquille fit-elle ; — et, après un moment de silence elle reprit Mais pourquoi nous faire nos adieux maintenant ? il est impossible que tout soit prêt déjà. Tu ne partiras pas demain matin.
— Non, je ne le pense pas, balbutia-t-il ; non sans doute.
— Ils se serrèrent la main sans oser se regarder et sortirent ensemble de la bibliothèque. — À demain, dit Mlle de l’Hubac.
— À demain, répéta faiblement le petit baron, et ils se séparèrent. Tous deux savaient bien cependant qu’ils ne devaient pas se revoir ; : mais le courage leur avait manqué pour se faire leurs derniers adieux.
Clémentine rentra dans sa chambre d’un pas chancelant, et se hâta d’ordonner à Josette de s’aller coucher. Lorsqu’elle se trouva seule enfin, au lieu de se mettre au lit, elle traîna un fauteuil près de la fenêtre et s’assit, la tête inclinée, les bras ramenés sur sa poitrine, dans l’attitude d’une morne et douloureuse attente. Elle était certaine qu’Antonin partirait au jour naissant, et elle voulait du moins l’apercevoir une fois encore pour lui’envoyer du fond de l’ame ce dernier adieu que sa bouche n’avait osé prononcer.
Le reflet d’une lumière sur la terrasse du château annonçait qu’on veillait encore dans l’appartement de la baronne, et les bruits soudains, les éclats de voix qui s’élevaient de temps en temps du côté des remises, faisaient comprendre à Mlle de l’Hubac que les gens achevaient les