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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/677

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l’on soulevât les masses et qu’on allât insurger toute la Pologne russe : c’était là le programme quotidien du journal qu’il publiait. Dénoncé par ses ennemis comme un espion russe, lorsqu’on eut trouvé dans les papiers du grand-duc Constantin le mémoire écrit pendant sa captivité, Mochnacki tira des soupçons populaires une vengeance héroïque. Il quitta la plume pour l’épée, et, refusant le brevet d’officier, il alla se battre comme simple soldat dans les champs de Grochow, de Wawer et d’Ostrolenka. Couvert de blessures, rapporté mourant à Varsovie, il travaillait encore sur son lit de douleur à guider par ses conseils les derniers momens de la révolution. Quand Varsovie tomba, il prit le chemin de l’exil, et ce fut là qu’il publia ce livre dont la nouveauté produisit un effet si puissant sur l’émigration. Il ne l’avait point encore terminé lorsqu’il finit à Auxerre, en 1834, une vie cruellement éprouvée.

L’ouvrage de Mochnacki reposait sur une pensée fondamentale qu’il entourait le premier d’une si éclatante lumière. — D’autres nations, disait-il, peuvent chercher et trouver leur salut dans des changemens politiques ; ce ne serait point assez pour sauver la Pologne, parce que le mal de la Pologne est un mal social. Il ne faut imputer nos désastres ni à un parti quelconque, ni à une forme quelconque de gouvernement ; ils découlent de la société même telle qu’elle est constituée avec une noblesse investie de tout et des paysans déshérités de tout. Nous n’avons pas le droit de nous rien reprocher les uns aux autres ; il n’est personne parmi nous qui ait su bien vouloir ou bien voir. Les républicains eux-mêmes se jetaient dans une impasse en affranchissant les serfs sans leur octroyer la propriété ; il n’y a qu’une manière de faire des paysans libres, c’est de faire des paysans propriétaires, et non point des prolétaires misérables. Tous les partis doivent donc avouer leurs erreurs et mettre en commun pour l’avenir l’expérience du passé. Ils doivent affirmer en principe que la révolution échouera toujours sur le sol de la Pologne tant que son mobile le plus clair ne sera point l intérêt des classes opprimées ; ils doivent tenir pour des insensés, pour des criminels, ceux qui tenteraient rien avant que ce principe fût devenu la chair et le sang du peuple entier ; ils doivent par conséquent prêcher d’urgence, non pas seulement les devoirs généraux de tous les patriotes envers la patrie, mais surtout les devoirs particuliers des propriétaires envers les paysans.

Mochnacki plaçait ainsi la question nationale sur un terrain où en aucun temps les défenseurs de la nationalité polonaise ne l’avaient encore portée. Le progrès social avait été jusqu’ici subordonné à la conquête de l’indépendance politique ; Mochnacki subordonnait, au contraire, l’affranchissement de l’état à la réformation de la société. Selon lui, et selon la vérité, l’état polonais avait disparu du nombre des états