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diffusion de la propriété individuelle, et non point sur la fusion de toutes les propriétés. S’il y a péril quelconque de communisme au bout d’une révolution qui soulèverait les masses, c’est à la condition que les masses se composent de citoyens déshérités. Or, justement, et Mieroslawski l’a senti à merveille, la révolution polonaise ne se ferait qu’en dotant individuellement les déshérités, dont l’oppression autrichienne ou moscovite soigne et conserve la misère.


« En Pologne, l’émancipation du peuple est l’exact synonyme de sa participation à la propriété foncière, parce que dans un pays sans industrie, mais d’une étendue et d’une fertilité surabondantes, c’est le seul mode de salaire connu et possible. En Occident, c’est un prolétaire que toute révolution déchaîne ; en Pologne, ce serait un propriétaire qu’elle aurait à former.


Ces paroles sont précieuses parce qu’elles déterminent avec une invincible rigueur l’idéal auquel marchait la Société démocratique. Il y eut naturellement, comme dans tout travail secret, des furieux et des fous qui cotoyèrent cette œuvre de haute raison avec l’air de s’y associer. Il y eut même quelquefois un vague fâcheux dans certaines prédications d’universelle fraternité qui sortaient de la bouche des poètes ; mais le but direct, éminent, exclusif de ces révolutionnaires démocrates, c’était d’arriver à multiplier les propriétaires en obtenant du désistement des possesseurs actuels cette division du fonds national qui a créé la fortune de la France. Que si, maintenant, on les accusait de vouloir improviser, avec l’artifice d’une dotation en masse, un état de choses qui s’est réalisé chez nous si lentement à la suite des progrès économiques, ils avaient encore raison de dire qu’il ne s’agissait point de deux sociétés semblables ; qu’il n’y avait chez eux ni industrie ni commerce qui pussent renouveler progressivement l’ordre social ou souffrir en cas de changement trop brusque ; qu’ils étaient au contraire un peuple agricole dont on n’ébranlait point, dont on élargissait l’existence en l’intéressant tout entier dans l’exploitation rurale. Ils ne bouleversaient donc rien, ils conservaient.

Telle a été pendant quinze ans la propagande essentielle de la Société démocratique polonaise, et, sur ce point, objet suprême de ses espérances, elle a persévéré de manière à convaincre ou à dominer toutes les dissidences au sein de l’émigration. Elle a persévéré en luttant à la fois contre quatre partis qui s’efforçaient, ou de l’entraver, ou de la déborder : contre les aristocrates, qui repoussaient d’abord avec horreur ces réformes agraires dont le principe est aujourd’hui par eux généralement accepté ; contre les ultrà-catholiques, qui auraient volontiers endormi les douleurs de la Pologne ; contre les purs républicains, qui s’indignaient qu’on prêchât si long-temps avant d’en appeler aux armes ; contre les furieux enfin, qui, pour armes, choisissaient le poignard