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et le poison. Dans cette chaude mêlée, obligés de soutenir leurs idées et leur conduite, non pas seulement vis-à-vis des oppresseurs de la patrie, mais en première ligne vis-à-vis de ceux qui, comme eux, prétendaient la défendre, les démocrates ont pu quelquefois confondre ensemble tous leurs adversaires, et, exagérant leurs représailles, traiter les plus respectables aussi mal que les plus odieux. Il faut le reconnaître et les plaindre de s’être emportés à de si amères violences. Ces injustices réciproques des partis ont été le fléau de la Pologne émigrée, comme elles avaient de tout temps été la ruine de la patrie polonaise ; pas un parti cependant ne s’est donné de torts aussi cruels que ne l’ont fait les démocrates en attaquant le prince Czartoryski. C’est là le grand reproche qui doit peser sur leur conscience, et j’écris cette mauvaise note à leur compte avec la même sincérité que j’ai mise à relever leurs mérites.

Le prince Adam Czartoryski a commencé sa vie en combattant à côté de Kosciuszko sur les champs de bataille de la guerre d’indépendance ; il la voit aujourd’hui finir sur la terre de l’exil. Dans cette vie si longue, entre ces deux époques également glorieuses, également douloureuses, séparées l’une de l’autre par plus de cinquante années, il n’y a jamais eu de place que pour des sentimens généreux, que pour des pensées de patriotisme. Tous les devoirs qu’il a remplis, le prince Czartoryski les a remplis, sans doute, avec les aptitudes particulières de son esprit et de son éducation. L’on peut apprécier différemment tel ou tel de ses actes ; mais il n’est point permis d’oublier la pureté de ses intentions et la noblesse de son caractère. Il n’est point permis d’oublier que, s’il fut l’ami d’Alexandre, cette amitié n’eut plus pour lui de charme le jour où il désespéra d’en tirer le bien de la Pologne ; que, s’il fut au service russe, il le quitta sans pensions et sans honneurs, sans autre dignité que la croix polonaise de l’Aigle-Blanc. Il est encore moins permis d’oublier les six ans qu’il passa dans la Lithuanie, de 1815 à 1821, six années de bienfaits, pendant lesquelles il consacra des sommes énormes à multiplier les écoles nationales jusque dans les moindres villages, retardant ainsi d’un siècle la russification de la province, comme s’en plaignait alors l’inquisiteur Nowosilzow. Qui ne sait enfin le dévouement avec lequel, en 1831, il risqua sa tête et sacrifia sa fortune, dévouement que les démocrates eux-mêmes devaient trouver encore tout prêt en 1846 ?

Les démocrates ont pourtant oublié tout cela, quand ils ont sans pudeur jeté l’injure aux cheveux blancs de l’illustre vieillard, quand ils ont eu le cœur de proclamer « ennemi de la patrie » l’homme qui lui avait donné sa vie tout entière. C’était, à vrai dire, dans l’entraînement de leurs débuts, lorsque la Société se formait sous l’influence du livre de Mochnacki. Mochnacki recommandait en vain la concorde ; en vain dans