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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/685

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son second volume il défendait contre ses amis le chef du parti qui l’avait autrefois à Varsovie flétri comme espion russe ; en vain il suppliait les nouveaux propagandistes de ménager l’aristocratie par égard pour ses exploits passés et pour ses ressources présentes. La tendance des doctrines de Mochnacki était plus forte que l’autorité de ses conseils. Il avait montré que la Pologne succombait victime d’un mal social dont l’aristocratie était la cause et recueillait le bénéfice. Instituée pour extirper le mal, la Société démocratique s’en prenait quand même aux aristocrates, les poursuivait de ses plus véhémentes invectives, s’attachait à les perdre dans l’opinion nationale, à les déshonorer devant l’Europe, et voilà comme elle en vint à cette inique publication qu’elle intitula : Manifeste du peuple polonais contre Adam Czartoryski, représentant de l’aristocratie polonaise.

Qu’est-ce donc que nous devons entendre sous ce nom d’aristocratie polonaise, lorsque nous voyons que ceux qui la maltraitaient si fort pour la plupart étaient eux-mêmes des gentilshommes ? Aujourd’hui la grande majorité des propriétaires polonais comprend l’absolue nécessité de régulariser au plus tôt la position des paysans et de donner aux populations rurales une meilleure assiette sur le sol. L’abolition du servage ne fait plus question pour personne, et l’on en est partout à chercher les moyens les plus sûrs d’abaisser au niveau de toutes les classes le droit et la faculté de posséder la terre. Mais, lorsque les démocrates osèrent d’abord proclamer l’urgence de cette révolution territoriale, émettant le principe dans toute sa rigueur, sans s’inquiéter beaucoup des voies et moyens ; lorsqu’ils parlèrent tout de suite de dépossession sans garantir d’indemnités, on commença par crier contre eux au brigandage et au communisme. Les seigneurs n’étaient encore assez éclairés ni par les préceptes économiques, ni par la dure leçon des événemens, pour aviser à pratiquer dans la mesure du possible le dogme absolu des démocrates ; ils ne voyaient pas que l’apparente réduction de leur fonds patrimonial pourrait en somme se compenser soit par l’accroissement du revenu, soit par le bénéfice d’une meilleure situation sociale. Ces appréhensions trop naturelles constituaient vis-à-vis de la propagande une force d’inertie qui lui barrait le chemin en se concentrant plus particulièrement encore dans un certain nombre de grandes familles.

Ces grandes familles, propriétaires de domaines considérables répandus à la surface de la Pologne sous les différentes dominations qui se la partagent, agréées auprès des cours, investies de hautes dignités, assurées, quelles que fussent les circonstances, de véritables positions princières, ces familles privilégiées ne pouvaient se résigner à penser que, pour être Polonais, il fallût, comme le dit Mieroslawski, « dévouer entièrement ses traditions domestiques, ses biens et sa vie