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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/698

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ce compagnon me manque, je m’adresse au premier cavalier de bonne mine qui se trouve sur mon chemin, et j’avoue que je n’ai jamais en à me plaindre de m’être ainsi confié au hasard.

Une déclaration si franche était faite pour me rassurer complètement. Je répondis toutefois à Desiderio Fuentes que je ne pouvais nullement accepter sa cordiale proposition. J’étais sorti pour visiter une des mines d’argent les plus voisines de Guanajuato, je ne pourrais donc passer avec lui que les instans consacrés à cette exploration, en supposant toutefois qu’il voulût bien me servir de guide. Desiderio accepta ce moyen terme en homme désoeuvré qui est trop heureux d’échapper à l’isolement, ne fût-ce que pendant quelques heures. Une fois cet accord fait, nous n’avions plus qu’à piquer des deux, et, peu d’instans après, nous chevauchions hors de la ville.

Chemin faisant, mon guide m’apprit qu’il avait reçu la veille dans un partido[1] une magnifique portion qui lui permettrait de donner plusieurs jours au far niente. Il ajouta que ce serait pour lui un passe-temps assez piquant d’aller visiter en amateur une des mines des environs, et il me laissa le choix de la plus curieuse. Seulement il ne se souciait guère de visiter celle de la Valenciana à cause d’une querelle qu’il avait eue avec un des administrateurs. Un arriéré de comptes avec un des employés de Mellado lui faisait désirer de s’abstenir d’y paraître, et, quant à celle de la Cala, certains désagrémens de fraîche date la lui faisaient éviter avec le plus grand soin. En définitive, je dus choisir forcément, malgré la liberté d’option qu’il m’avait accordée, la mine de Rayas comme unique but de mes investigations. Il m’était difficile d’interpréter en faveur de Desiderio Fuentes les précautions qu’il était forcé de prendre. Évidemment mon nouvel ami était très querelleur ; il n’aimait certainement pas à payer ses dettes, et, dans ses désagrémens (desavenencias) à la Cata, le couteau avait, à coup sûr, joué quelque rôle. Je commençais à me féliciter moins de ma rencontre. Un mot surtout que Fuentes laissa échapper me fit sérieusement réfléchir.

— Mon premier mouvement est toujours fort bon, me dit-il, mais je confesse que le second est détestable.

Nous étions parvenus à l’extrémité d’un ravin dont les talus perpendiculaires nous avaient jusqu’alors masqué le paysage. Une plaine assez unie s’étendait devant nous. De longues files de mules chargées de minerai se dirigeaient vers les bâtimens d’un de ces ateliers métallurgiques qu’on nomme au Mexique hacienda de platas[2]. On pouvait voir

  1. Les mineurs sont à partido quand une certaine portion des bénéfices leur est accordée comme salaire. Dans ce cas, l’administration leur fournit le fer, la poudre, le suif, etc, etc., et, à part ces frais, ne les paie qu’autant que leurs recherches sont couronnées de succès.
  2. Littéralement exploitation d’argent.