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les tuyaux des fourneaux couronnés d’un panache de fumée noire et de vapeurs plombées, les patios[1] en pierre semés de tourteaux d’une boue métallique à la veille de se convertir en lingots massifs. Le bruit du marteau qui concassait la pierre argentifère, le pas des mules, le claquement des fouets qui les excitaient, se mêlaient au bruit plus sourd des chutes d’eau qui faisaient mouvoir les machines. J’avais arrêté mon cheval pour contempler plus à l’aise ce tableau animé ; bientôt cependant mon attention fut distraite. A quelques pas de nous, je remarquai deux hommes à moitié cachés par un bas-fond, et qui traînaient, à l’aide de cordes, le cadavre d’une mule. Arrivés à un endroit où Desiderio et moi pouvions seuls les découvrir, l’un des hommes se pencha sur la mule morte, sembla l’examiner curieusement et jeta de côté un regard de défiance. Dès qu’il nous eut aperçus, il s’assit brusquement sur le cadavre qu’il traînait une minute auparavant. Quant au compagnon du premier, il disparut immédiatement derrière un épais rideau d’arbres et de buissons.

— Eh ! eh ! si je ne me trompe, reprit Fuentes, c’est mon ami Planillas ; mais que diable fait-il là ?

Au nom de Planillas, je tressaillis involontairement, et je suivis Fuentes, qui s’était dirigé du côté de l’homme assis sur la mule. J’espérais obtenir du compagnon de don Tomas Verduzco quelque révélation nouvelle sur la part que le bravo avait prise dans le meurtre de don Jaime. Planillas, les coudes sur ses genoux et la tête dans ses mains, paraissait accablé par un violent chagrin. Le bruit de nos pas le tira enfin de sa méditation, et il leva sur nous des yeux où se trahissait plus d’inquiétude que de surprise.

— Ah ! seigneurs, s’écria-t-il, vous voyez dans ma personne l’homme le plus désolé de toute la Nouvelle-Espagne.

— Vous pensez sans doute, lui dis-je, au jeune cavalier que don Tomas a assassiné il y a deux jours, et dont le sang retombera sur votre tête, car vous auriez pu lui sauver la vie en arrêtant la main de votre ami, de ce don Tomas qui avait été payé pour le frapper, me disiez-vous.

— Vous ai-je dit cela ? s’écria Florencio ; en ce cas, par la vie de ma mère, j’en ai menti… Je suis horriblement menteur quand j’ai bu, et, vous le savez, seigneur cavalier, j’avais beaucoup bu ce jour-là.

Florencio s’arrêta comme s’il n’eût voulu reprendre la parole qu’après avoir retrouvé son assurance ; mais Fuentes ne lui laissa pas le temps de se recueillir ; il lui demanda pour quel motif il paraissait si

  1. On appelle patios des cours dallées sur lesquelles on expose à l’évaporation des amas de boues métalliques produites par le bocardage humide du minerai. Ces boues, amalgamées avec le mercure, sont la dernière transformation du minerai.