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ne fut pas sans une certaine mélancolie que je me vis fatalement destiné à accomplir, contre ma volonté, une inévitable et dangereuse prouesse. C’était encore à Fuentes que j’étais redevable de cette nouvelle contrariété. Je promis néanmoins au mineur d’être exact au rendez-vous, et, resté seul, je profitai de mon indépendance pour examiner à loisir le monde nouveau dans lequel je me trouvais transporté. J’avais en main la torche que m’avait laissée Desiderio, et je la promenai curieusement à mes côtés. Au-dessus de moi se dessinaient des voûtes d’inégale grandeur, capricieusement creusées dans le roc vif et constellées de paillettes brillantes, les unes soutenues par de fortes poutres, les autres laissant pendre, comme des culs-de-lampes gothiques, leurs pointes aiguës, qui menaçaient de s’écrouler sur ma tête. Une eau limpide, qu’irisait la flamme de la résine, serpentait en filets déliés le long des pilastres informes ou suintait goutte à goutte des fissures du roc avec le bruit monotone d’un balancier de pendule, eau tombée du ciel, et qui, après avoir fécondé la plaine, semblait, avec un murmure plaintif, aller se perdre à regret dans l’océan souterrain qui devait l’absorber. Devant moi s’ouvraient de sombres carrefours ; des bruits de pas répercutés par les échos mouraient sous les profondes arcades, comme des gémissemens lugubres ou des plaintes étouffées. Des lueurs indécises perçaient de temps à autre cette effrayante obscurité : c’étaient des mineurs qui allaient et venaient, leur mèche allumée derrière l’oreille, semblables à ces gnomes des légendes qui veillent, la flamme au front, sur des trésors cachés.

J’avançais avec toute la précaution convenable, car, demeuré sans guide dans ce labyrinthe, je ne savais de quel côté me diriger. J’entendis bientôt, dans le lointain, le bruit sourd des piques qui sapaient le rocher, mêlé à des bruits mystérieux qui semblaient partir d’un étage inférieur. Ces rumeurs, toutes vagues qu’elles étaient, servirent à m’orienter. Je n’avais vu, depuis mon entrée dans la mine, que des voies de communication ouvertes de tous côtés ou des gîtes vides de leurs filons, et j’étais impatient d’arriver enfin à l’endroit qu’on nomme la labor, c’est-à-dire l’endroit où l’on exploite et fouille la veine d’argent. Une clarté confuse encore m’indiqua que je n’en étais pas loin ; je parvins bientôt à l’orifice d’un puits peu profond, d’où jaillissait une lumière plus vive. On y descendait par une échelle formée de poutres mises bout à bout et en zigzag. J’hésitai d’abord à me confier aux entailles pratiquées dans ces poutres et destinées à servir de degrés ; cependant, enhardi par le peu de profondeur du puits, je me hasardai à y descendre, et je gagnai sain et sauf le plan qu’on était en train d’exploiter. C’était un couloir en diagonale de cinq pieds environ de diamètre et de cinq ou six cents de longueur, d’où s’exhalait une vapeur brûlante comme de la bouche d’un cratère. Perdu au milieu de