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dérouté une vigoureuse estocade[1]. Osorio tomba. On le fit remonter tout sanglant dans un costal[2] par le grand puits. Le hasard voulut qu’un padre passât en ce moment près de la mine. On le pria de venir entendre la confession du blessé ; mais à peine le prêtre et le moribond se furent-ils entrevus qu’un cri d’effroi échappa au padre. Le saint homme avait reconnu dans le mineur expirant le passeur du Rio-Atotonilco ; Osorio avait reconnu dans le prêtre l’homme qu’il avait cru noyer, et qui avait échappé par une sorte de miracle à une mort presque certaine. Dès-lors, et par les investigations de la justice, bien des mystères furent éclaircis. Le passeur du Rio-Atotonilco, le voleur sacrilège, le mineur de Zacatécas, celui de Rayas en un mot, n’étaient qu’un seul et même homme. Le garrote fit justice des crimes de ce misérable, et c’est sa main qu’on peut voir clouée à la muraille sur la grande place de Guanajuato. Il me reste à vous dire ce qu’il advint de Felipe. Cette reconnaissance providentielle de la victime et de l’assassin fit du bruit, et, quelques heures après, une demi-douzaine d’alguazils se présentèrent pour arrêter le mineur qui avait frappé Osorio. Un malheureux hasard voulut ce jour-là que Felipe eût quitté son travail plus tôt qu’à l’ordinaire. Je ne sais par quelle fatale méprise il avait été désigné comme le meurtrier d’Osorio, peut-être était-ce une dernière noirceur de ce misérable ; toujours est-il que les alguazils venaient pour l’arrêter. Le jeune mineur s’était sauvé, et je n’ai pas besoin de vous dire que cet ennemi mortel d’Osorio était l’enfant insulté jadis par le passeur et témoin du crime commis sur les bords du Rio-Atotonilco, Si Felipe fût resté sous terre, les alguazils n’auraient pas osé se hasarder dans les galeries intérieures de la mine, car les mineurs n’eussent pas souffert cette atteinte portée à leurs fueros. Les alguazils aperçurent le jeune homme dans une des cours qui séparent les bâtimens d’exploitation ; ils se mirent à sa poursuite. Felipe vit qu’il était perdu ; il voulut au moins mourir en digne mineur, et sans avoir été flétri par le contact d’un alguazil. Arrivé hors d’haleine près du puits où nous sommes en ce moment : — Je ne serai pas déshonoré comme un vil lépero, s’écria-t-il ; un mineur est plus qu’un homme, c’est l’instrument dont Dieu aime à se servir. — Puis, la figure pàle, les yeux étincelans, il s’élança d’un bond par-dessus la balustrade du puits et disparut dans le gouffre qui s’ouvre à présent sous vos pieds.

Le mineur se tut ; sa torche pâlissait, déjà j’apercevais vers le haut du puits la lumière du jour, vague encore comme les premières lueurs

  1. Estocade veut dire ici coup d’estoc. Le poignard est trop en honneur parmi les gens du peuple mexicain pour n’avoir pas une foule de noms ; selon les provinces, on l’appelle estoque, verdugo, punal, cuchillo, belduque, navaja.
  2. Sac en toile de fil d’aloès.