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— Savez-vous à quelle hauteur vous êtes ici ? me cria le guide. A cinq fois et demie la hauteur des tours de la cathédrale de Mexico.

Et pour confirmer sans doute la désespérante exactitude de ses paroles, il tira de sa ceinture une poignée d’étoupes et l’alluma à la flamme de la torche. Je ne pus m’empêcher de suivre d’un œil fasciné cette lueur qui descendit lentement comme un globe de feu, se rapetissa, s’amoindrit et ne parut plus bientôt dans le fond ténébreux que comme une de ces pâles et lointaines étoiles dont la lumière arrive à peine à la terre. La voix du mineur qui continuait son récit m’arracha à cette écrasante contemplation.

— A dater du jour où Osorio s’était montré aux fiançailles de Felipe, reprit le guide, mille piéges furent tendus au jeune homme par une main invisible. Le lendemain même, une mine éclata près de lui et le couvrit de débris de rocher. Une autre fois, la corde à laquelle il était suspendu, à une assez grande distance du sol de la galerie, cassa subitement. Ces tentatives ayant échoué, on tourna contre son honneur les efforts qu’on avait inutilement dirigés contre sa vie. De vagues insinuations tendirent à faire passer le pauvre Felipe pour le voleur sacrilège de l’ostensoir. Felipe hésita long-temps à reconnaître dans son ancien ami l’auteur de ces machinations. Ses yeux ne se fussent peut-être pas ouverts à l’évidence, si un jeune mineur, engagé depuis peu et qui épiait constamment Osorio, ne l’eût averti des piéges qu’on lui tendait. Felipe résolut de se venger. La veille du jour où devait avoir lieu le mariage (car tout cela s’était passé en moins d’une semaine), Osorio et Felipe se rencontrèrent dans une des galeries souterraines de Rayas. Felipe reprocha à Osorio ses perfidies, et Osorio ne lui répondit que par des injures ; tous deux mirent le poignard à la main. Ils étaient seuls, nus tous deux ; leur frazada était leur unique bouclier. Osorio était plus robuste, Felipe était plus agile ; la chance devait être incertaine et le combat douteux. Tout à coup le jeune mineur dont je vous ai parlé se jeta inopinément entre les deux adversaires.

— Si vous le permettez, dit-il à Felipe, ce sera moi qui châtierai ce spoliateur d’église, car j’ai sur lui des droits antérieurs aux vôtres.

Osorio grinça des dents et se précipita sur le jeune mineur, qui se mit en défense. Les deux champions se disposèrent à combattre à la lueur de la torche de Felipe, devenu témoin, d’acteur qu’il était. Les frazadas une fois enroulées au bras gauche de chacun des adversaires, pour dissimuler leur feinte, le combat commença. Peut-être eût-il duré long-temps sans une ruse dont s’avisa le jeune mineur ; il se ramassa sur lui-même de manière à ce que la couverture qui pendait à son bras balayât le sol ; puis, derrière le voile qui dérobait ses mouvemens, il changea son couteau de main et porta à son adversaire