Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/730

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vers la fin du siècle, Fontanes, André Chénier, Lebrun, se mettent ensemble à l’œuvre. Fontanes commence un poème sur la Nature et l’Homme ; André Chénier un autre qui doit s’appeler Hermès ; Lebrun, qui disait magnifiquement de lui-même :

Élève du second Racine,
Ami de l’immortel Buffon,
J’osai sur la double colline
Allier Lucrèce à Newton,

Lebrun commence aussi son poème de la Nature, où la science tiendra une grande place. Ils commencent, mais n’achèvent point. Sans doute ils ont compris que la science, devenue toute positive, partout enseignée, partout apprise, dont les secrets sont révélés à tout le monde, a perdu le mystère qui la rendait poétique ; qu’elle vit désormais dans les mémoires, les traités, les histoires des savans ; qu’elle appartient à la prose. Elle a pour légitime interprète Buffon, bien propre à décourager les poètes, alors même qu’ils invoquent son nom. Aussi de ces tentatives il ne reste que de beaux fragmens, échos de ces accens d’enthousiasme que la première vue des merveilles enseignées par Newton avait arrachés à Voltaire. Tel est, par exemple, ce passage de l’Hermès d’André Chénier :

Souvent mon vol, armé des ailes de Buffon,
Franchit avec Lucrèce, au flambeau de Newton,
La ceinture d’azur sur le globe étendue.
Je vois l’être et la vie et leur source inconnue,
Dans les fleuves d’éther tous les mondes roulans.
Je poursuis la comète aux crins étincelans,
Les astres et leurs poids, leurs formes, leurs distances ;
Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses.
Comme eux, astre soudain, je m’entoure de feux,
Dans l’éternel concert je me place avec eux
En moi leurs doubles lois agissent et respirent ;
Je sens tendre vers eux mon globe qu’ils attirent.
Sur moi qui les attire, ils pèsent à leur tour.
Les élémens divers, leur haine, leur amour,
Les causes, l’infini s’ouvre à mon mil avide.
Bientôt redescendu sur notre fange humide,
J’y rapporte des vers de nature enflammés,
Aux purs rayons des dieux dans ma course allumés.

A l’illusion qui avait fait entreprendre à la fois tous ces poèmes sur la nature, avait participé Lemercier, que nous avons vu y persévérer avec plus de hardiesse et d’opiniâtreté que de succès. Il n’a pu, malgré sa verve et son talent, faire accepter la mythologie bizarre par laquelle dans son Atlantiade il avait personnifié les forces de la nature. Empédocle